Isabelle Hudon a mis quatre ans à devenir présidente de la chambre de commerce de Montréal, mais seulement trois mois pour atterrir à la présidence du CA de l'UQAM. À 41 ans, la blondissime dynamo s'apprête à relever un des plus grands défis de sa vie: rétablir la confiance du public à l'égard d'une université en crise et au bord de la faillite. Portrait d'une femme qui n'a pas froid aux yeux.

Même s'il n'est qu'au sixième étage du Centre de commerce mondial, le bureau d'Isabelle Hudon donne le vertige. D'abord, ce n'est pas tant un bureau qu'un sanctuaire de verre avec vue imprenable sur l'atrium de la ruelle des Fortifications. En y entrant, on se sent à la fois suspendu dans le vide et prisonnier des vieilles pierres environnantes.

Si une simple pièce peut révéler des traits de la personnalité de son occupant, alors le bureau d'Isabelle Hudon est le refuge d'une personne au style minimaliste, d'une femme moderne, rapide, efficace, qui ne craint pas les hauteurs.

Entrée à la chambre de commerce du Montréal métropolitain par la porte des communications en 2001, elle a mis moins de quatre ans à en gravir les échelons jusqu'à la présidence. Première femme nommée à la tête d'un organisme de 7000 membres et de 80 employés, elle s'est vite fait une réputation de redoutable organisatrice comme de mère aimante et soucieuse de Montréal.

Isabelle Hudon n'est pas montréalaise de naissance, mais elle a tellement pris à coeur le sort de sa ville adoptive qu'on s'est mis à s'arracher sa personne dans les conseils et les comités locaux. À ce jour, Isabelle Hudon siège aux conseils d'administration d'Aéroports de Montréal, du Technopôle de Ville-Marie et des magasins Holt Renfrew. Elle est présidente du CA de la Société du Havre de Montréal et, avant d'accepter la présidence de celui de l'UQAM, elle était vice-présidente du CA du CHUM (dont elle a démissionné).

Son ascension a été fulgurante. Mais pas assez pour lui enlever son sens de l'autodérision, sa franchise et une énergie vibrante qui contraste avec son look de blonde béton, froide et déterminée.

Sur les murs de son bureau, des toiles abstraites signées Danièle Bergeron, une robe en mousse de sécheuse et une photo grandeur nature d'une ballerine dressée sur ses pointes.

Enfant, Isabelle Hudon rêvait de devenir ballerine. «Malheureusement, j'étais une petite grosse pas très gracieuse», laisse-t-elle tomber avec désinvolture. De la part de cette femme filiforme, qui doit peser à peine 50 kg tout habillée, et qui, à force de s'entraîner, pourrait disparaître, l'aveu est étonnant. Mais elle maintient qu'elle a été boulotte jusqu'à la naissance de son fils, Arnaud, il y a 13 ans.

Boulotte, agitée et turbulente au point d'être renvoyée du collège Brébeuf après seulement un trimestre, quiconque a connu Isabelle Hudon à l'adolescence ne l'imaginait pas à la présidence de quoi que ce soit.

«Disons que j'ai été une première de classe au primaire et au secondaire. Au cégep, j'ai perdu le feu. À l'université, ça ne s'est pas arrangé. Je ne suis pas un produit universitaire. Je n'ai pas de diplôme. Je ne m'en fais pas une gloire ni une honte et, surtout, je ne cherche pas à promouvoir le fait qu'on peut réussir sans diplôme universitaire, même si c'est mon cas.»

Du même souffle, Isabelle Hudon avoue pourtant qu'elle vient de s'inscrire au programme EMBA, offert conjointement par l'Université McGill et HEC. À la fin de l'année scolaire, si elle tient le coup, elle aura enfin un diplôme universitaire. Son premier.

Dans les coulisses du pouvoir

Reste que, aux bancs de l'université, Isabelle Hudon a vite préféré les coulisses du pouvoir. En 1984, son père, Jean-Guy Hudon, échevin, puis maire de Beauharnois, a été élu député avec les conservateurs de Brian Mulroney. Au moment de sa réélection, en 1988, sa fille vient le rejoindre à Ottawa. À peine âgée de 20 ans, Isabelle Hudon sera tour à tour organisatrice régionale pour les conservateurs, puis attachée de presse de la ministre Monique Landry à l'ACDI, au Commerce extérieur et à Patrimoine Canada, avant d'hériter du titre ronflant d'«adjointe exécutive» de Mila Mulroney pour la gestion de sa transition à la vie privée.

«Comment je me suis retrouvée là? Très simplement. Paul Smith, le père de mon fils, était l'adjoint du premier ministre Brian Mulroney. Je connaissais très bien les Mulroney. J'allais souvent chez eux. Ils avaient entièrement confiance en moi et quand, en 1993, les électeurs nous ont brutalement mis à la porte, Paul et moi, nous nous sommes occupés d'organiser le retour à la vie normale des Mulroney.»

Treize ans plus tard, certains pensent encore qu'Isabelle Hudon fait toujours partie de la grande famille bleue. Elle leur répond: « J'ai autant d'affinités et de liens avec les libéraux qu'avec les conservateurs. Avec le poste que j'occupe, je n'ai pas le choix. De toute façon, ce n'est plus la même époque ni les mêmes individus. Mulroney et Harper, c'est deux styles totalement différents. Brian Mulroney était un homme beaucoup plus nuancé et moins catégorique. Avec le gouvernement de Stephen Harper, on ne peut pas dire qu'il y a grand place pour la négociation. En deux ans, ils ont peut-être changé d'idée une ou deux fois.»

Un souci de cohérence

Sachant cela, Isabelle Hudon a pourtant tenu à dénoncer les coupes dans les subventions aux entreprises culturelles. Elle a même accepté de prendre la parole publiquement lors de la grande manifestation des artistes, il y a quelques semaines.

«J'étais sur cette estrade par souci de cohérence. Je ne peux pas tenir un discours sur l'importance de la culture d'un côté et ne rien faire quand la culture est menacée. Sauf que je me rends compte qu'on a sous-estimé le rapport de force du gouvernement et le fait que ces coupes plaisent à une certaine partie des Canadiens. C'est pour ça que, lorsque des artistes comme Walter Boudreau tombent dans un discours haineux et extrémiste, ils donnent aux conservateurs la meilleure arme pour ne pas rétablir ces programmes.»

Sa contribution à l'UQAM

Même si elle ne regrette pas son geste, ce n'est pas demain la veille qu'Isabelle Hudon risque de partager la scène avec Boudreau et ses amis artistes. De toute manière, son nouveau mandat de présidente du CA de l'UQAM ne lui en laissera ni le temps ni le loisir.

Nommée simple administratrice par la ministre Courchesne en août, Isabelle Hudon a accepté que le recteur Claude Corbo soumette sa candidature à la présidence. «Soyons honnêtes: personne ne voulait de la job, avoue-t-elle. Et moi, même si ça complique mes horaires et mon existence, j'avais envie d'apporter ma contribution. Par défi personnel, mais aussi pour la ville. Montréal n'a pas besoin que des situations douloureuses comme celle-là perdurent sur la place publique. Chaque fois que je passe devant le chantier fermé, rue Berri, c'est comme une gifle.»

Isabelle Hudon ne s'explique pas comment un tel gâchis a pu arriver.

«C'est tellement énorme, comme histoire! Cela dit, je crois plus à la théorie des rêves de grandeur qu'à celle de la corruption. Je me trompe peut-être mais, en même temps, ce qui est fait est fait. Il faut tourner la page, rétablir la confiance de la population. Je ne crois pas que sacrifier une ou deux personnes sur la place publique soit la bonne solution. Par contre, il faut mettre en place une structure pour que pareille chose ne se reproduise plus jamais. Jamais.»

Retrouver l'élan

Près d'un an après le sommet Montréal métropole culturelle, Isabelle Hudon, qui en fut l'un des maîtres d'oeuvre, est nostalgique de l'effervescence qui régnait à Montréal à ce moment.

«L'élan n'est pas éteint, mais on a manqué d'ambition. Il aurait fallu se doter d'une vraie structure pour le suivi. Une seule personne aurait pu s'occuper de faire les appels et les liens entre les différents partenaires des trois gouvernements. Pour l'instant, le comité de pilotage du plan d'action se rencontre aux deux mois, et encore. Moi, je veux bien pousser, mais je n'ai pas que ça à faire.»

Certains voient Isabelle Hudon monter encore plus haut et se présenter à la mairie de Montréal. Mais cette perspective provoque un vigoureux non de sa blonde tête. Elle a vu son père faire de la politique 24 heures sur 24. Elle a vu l'effet de la politique dans la maison de Brian et Mila Mulroney. Pour l'instant, la perspective de devenir mairesse de Montréal ne l'enchante guère. Mais Isabelle Hudon est encore jeune et, surtout, elle ne craint pas les hauteurs...