Nous avons demandé au maire de Montréal, Gérald Tremblay, de réagir à notre série sur la pauvreté dans sa ville. Devant les copies de nos articles, soigneusement annotées de sa main, M. Tremblay nous a donné une longue entrevue en partant de ce «brutal constat».

Est-ce qu'il y a quelque chose dans ces articles qui vous a étonné?

Non. Pas du tout. C'est un constat brutal. Je suis très interpellé par ça. J'ai une nièce qui est décédée en très bas âge dans un contexte comme celui-là. Elle était dans la drogue, la prostitution. Elle était à l'hôpital depuis une semaine et elle disait qu'elle n'avait pas de parents. A la suite des efforts d'un policier, ils nous ont retrouvés et on a assisté à son décès. Avant d'être élu, j'ai visité des refuges. J'ai visité le Chaînon. Toujours de façon discrète, sans journalistes.

Personnellement, est-ce que vous êtes en contact avec des gens pauvres?

Certainement. Je vais régulièrement à l'Accueil Bonneau servir des repas. Je vais à la messe de minuit à la Maison du père. Je suis allé au Bunker des jeunes sur la rue St-Hubert. Je suis très près des itinérants.

Qu'est-ce que vous faites quand vous rencontrez un itinérant?

Je lui parle. Je lui donne une poignée de main, un sourire, et je lui porte attention.

Sur un plan plus politique, il y a une loi antipauvreté qui a été adoptée il y a douze ans à Québec. Qu'est-ce que ça a changé concrètement dans une ville comme Montréal?

On a réussi à avoir 5 millions de dollars. Est-ce que c'est assez? La réponse est non. Pour lutter contre l'itinérance, ça prendrait un minimum de 12 millions de dollars sur une base récurrente et ça prendrait 120 millions au cours des quatre prochaines années pour avoir les moyens de nos ambitions. Les gouvernements vont devoir faire leur examen : on a voté une loi sur la pauvreté. Il devrait y avoir un plan d'action.

Le logement, c'est fondamental pour se sortir de la pauvreté. On parle beaucoup de logement abordable à Montréal, mais la plupart de ces logements sont des condos qui se vendent entre 145 000$ et 170 000$. Est-ce vraiment du logement abordable?

Ça dépend pour qui. Pour les gens dont on parle dans ces articles, non. Mais quand la Mission Old Brewery a eu besoin de s'agrandir, on a exproprié une taverne sur le coin de la rue et on leur a donné l'édifice à la condition qu'ils fassent du logement à un peu plus long terme. C'est comme ça l'Accueil Bonneau. Au Chaînon.

Mais il y a 22 000 personnes en attente d'un logement social à Montréal.

Quand je suis arrivé, il y avait eu 734 logements sociaux au cours des quatre dernières années. J'ai promis d'en faire 5000. On en a fait 5200. On va en faire un autre 5000. Est-ce que c'est assez? Non.

Mais comment ça se fait que des propriétaires délinquants peuvent rouler pendant des années en possédant un parc de taudis?

Il y a encore des personnes qui exploitent les plus démunis. On a investi un million par an pour cibler ces propriétaires délinquants.

Seriez-vous en faveur d'une piquerie supervisée comme celle de Vancouver?

Moi, j'ai dit à Québec, prenez votre décision. J'ai rencontré le maire de Vancouver. J'ai visité la piquerie. Au Québec, le ministre a dit qu'il ne décidait pas. Il va falloir innover, sortir des sentiers battus. Je ne m'objecterai pas à un projet comme ça.

Les témoignages des intervenants sont à l'effet qu'il y a beaucoup de harcèlement face aux jeunes marginaux qui sont dans les parcs. Est-ce que c'est porteur comme attitude?

Vous ne regardez qu'un seul côté de la médaille. Il faut regarder les deux. Il faudrait parler aux gens de la classe moyenne qui ont des petits condos à la gare Viger. Dans le square Viger, juste devant, il y a des squeegees, des drogués, des prostitués. Est-ce que ces gens-là ont le droit d'avoir un meilleur équilibre?

Montréal-Nord est l'un des quartiers pauvres de Montréal. Comment vous interprétez les événements qui s'y sont passés? Est-ce une crise sociale, une crise raciale?

J'ai demandé une enquête impartiale et transparente. C'est la première fois que les résultats d'une enquête vont être rendus publics. Oui, il y a de la pauvreté à Montréal-Nord. Mais il y en a partout. Il y en a dans Côte-des-Neiges, dans Parc-Extension, il y en a à Outremont, à Westmount.

Franchement, il n'y a pas grands itinérants dans Summit circle...

Ce qui s'est passé à Montréal-Nord, c'est un cri de colère de jeunes qui veulent être écoutés.

Avez-vous été surpris par ces événements?

Vous savez, je m'attends à tout à Montréal. Si on regarde le tissu social, indépendamment des considérations de racisme, partout à Montréal, il pourrait arriver quelque chose.