«En centre jeunesse, les éducateurs perdent leur temps. Je le sais, j'ai été éducateur, et j'ai travaillé en vain!»

Tel est le constat de Richard Tremblay, encore plus convaincu, au terme de son étude sur les effets de la judiciarisation de la délinquance juvénile, que l'on s'y prend à l'envers. «Les problèmes de délinquance se dépistent dès la petite enfance, mais tout l'argent est consacré à l'adolescence, alors que le mal est fait dans une très large mesure. Un jeune interné à Cité des Prairies, ça coûte 100 000$ par année...»

Les recherches (la sienne, mais aussi l'étude américaine de K. A. Dodge et al., en 2006, ou de A. Piquero et al., en 2008) démontrent, ajoute-t-il, que les interventions auprès d'adolescents agressifs augmentent souvent sensiblement le risque de comportements criminels, alors que, auprès d'enfants à risque d'âge préscolaire, elles ont des effets bénéfiques à long terme

«En centre jeunesse, les éducateurs sont formés à faire des choses qui ne fonctionnent pas parce que les interventions arrivent trop tardivement. Et quand ils se trouvent en foyer de groupe plutôt qu'en famille d'accueil, les jeunes trouvent la meilleure école du crime qui soit! Ils se font plein d'amis qui ont le même profil qu'eux!»

Pour M. Tremblay, il faudrait une «révolution» semblable à celle qui a touché les hôpitaux psychiatriques. Un plan de 20 ans, dit-il, qui agirait en amont. Dès la petite enfance.

Michelle Dionne, directrice de la protection de la jeunesse au Centre jeunesse de Montréal, admet que le foyer de groupe est la dernière solution à envisager mais ajoute qu'elle est parfois incontournable. «Dans un monde idéal, il n'y aurait ni foyer de groupe ni centres de réadaptation, dit-elle. Cependant, certains jeunes ont un caractère si difficile qu'on n'arrive pas à les installer dans des familles d'accueil.»

Mme Dionne a-t-elle, elle aussi, le sentiment qu'il est souvent trop tard quand les enfants se présentent au centre jeunesse? «Plus l'enfant nous arrive tard, plus il est difficile de répondre à ses besoins, de l'apaiser. Certains enfants ont des séquelles importantes.»

En 2007, le centre jeunesse de la Montérégie a commandé une étude sur les jeunes des centres jeunesse, une fois leur majorité atteinte. Signée par Roger Gagnon, ancien directeur de ce service, l'enquête conclut que trop souvent, à la sortie d'un centre jeunesse, les jeunes se retrouvent à la rue, sans un sou et non préparés à vivre de façon autonome. Conscients de cette réalité, les centres jeunesse disent mettre maintenant beaucoup d'énergie dans un programme qui vise à préparer les jeunes à se prendre en main.

M. Gagnon critique par ailleurs la durée de la prise en charge: en moyenne, les jeunes dont il est question dans son rapport étaient hébergés en centre depuis près de trois ans. Dans certains cas, le placement s'étendait sur pas moins de 12 ans et certains avaient changé de place une trentaine de fois.