Lorsqu'elle a vendu le vaste terrain du Faubourg contrecoeur à Construction Frank Catania, en octobre 2007, la SHDM a soustrait 11 millions de dollars pour les frais de décontamination, mais le terrain était de deux à trois fois moins contaminé que prévu, selon le bilan final des travaux consulté par La Presse.

Les transactions faites depuis deux ans par la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM) font l'objet d'une enquête par le vérificateur général de la Ville. Ce dernier porte une attention particulière au Faubourg contrecoeur, un terrain que la Ville a vendu à Catania par l'entremise de la SHDM. De surcroît, la firme de comptables Deloitte Touche effectue ses propres vérifications sur la vente et la mise en valeur de ce terrain, à la demande du conseil d'administration de la SHDM.

 

Le terrain de 38 hectares, situé dans l'est de Montréal, a été vendu au prix brut de 19 millions à Catania, à la suite d'un appel d'offres sur invitation. En acceptant la soumission de Catania en décembre 2006, la SHDM - et la Ville de Montréal - acceptaient de soustraire diverses sommes, dont 11 millions pour la décontamination.

Il y a deux semaines, Catania a envoyé à La Presse une série de documents, notamment les études de sols et les prévisions de coûts faites par la firme LVM Technisol, filiale du groupe Dessault-Soprin, et par la firme Aménatech, filiale du groupe SM. Le constructeur nous a aussi envoyé le bilan final des travaux de décontamination et de réhabilitation, signé par LVM Technisol et le Groupe Séguin en août dernier.

Des écarts importants

Notre propre analyse des documents, que nous avons soumise à des experts, aboutit à cette conclusion: il y a un énorme écart entre les prévisions faites par LVM et Aménatech et les quantités de sol qui ont dû être décontaminées, selon le bilan final préparé par LVM. Un des experts consultés par La Presse nous a dit qu'il n'avait jamais vu un écart aussi marqué.

En effet, la quantité de sols qui devait être décontaminée s'est révélée beaucoup moins importante que prévu. Ainsi, la firme Aménatech soutenait en mai 2007 qu'il fallait éliminer 106 719 tonnes de sols contaminés dans la plage «B-C» au coût de 45$ la tonne, pour un total de 4,8 millions de dollars.

Le bilan final indique que, en vérité, 40 000 tonnes de sols contaminés dans cette plage ont dû être éliminées. À cela, il faut ajouter 21 000 autres tonnes de sols pareillement contaminés, qui ont été excavés et replacés dans des parties du terrain du Faubourg contrecoeur où aucune habitation ne sera construite.

Agir ainsi coûte beaucoup moins cher que d'envoyer les sols dans des décharges spécialisées. C'est une option qu'autorise le ministère de l'Environnement. La plage B-C caractérise les sols contaminés qui doivent être soit éliminés, soit utilisés sur des terrains à vocation commerciale ou encore pour de futurs parcs. Ils doivent alors être couverts de membranes géotextiles, ce qui a été fait.

La firme Aménatech prévoyait aussi qu'il faudrait éliminer 90 000 tonnes de débris, également au coût de 45$ la tonne, pour un total de 4 millions de dollars. En vérité, seulement 3500 tonnes de débris ont été envoyées dans des décharges spécialisées. Quelque 25 000 tonnes de béton non contaminé ont été concassées sur place et utilisées comme agrégats pour les rues, au coût de 250 000$.

Au total, la firme LVM avait estimé dans ses prévisions que le terrain contenait 450 000 tonnes de sols contaminés à des degrés divers. C'est sur cette base que la SHDM a soustrait 11 millions du prix de vente à Catania. Mais au bout du compte, seulement 132 000 tonnes de sols contaminés ont été excavés, soit trois fois moins.

Claude Marcotte, qui a signé le bilan final pour la firme LVM, a rédigé un tableau à notre demande, où il indique que les coûts de décontamination et de réhabilitation se sont élevés à 9,3 millions. Ce montant inclut des frais divers, notamment des frais de 850 000$ qui auraient été engendrés par l'arrêt des travaux pendant l'hiver.

Puis la firme Catania nous a envoyé un second tableau, où elle a ajouté d'autres sommes, comme 282 000$ pour l'installation du chantier, ce qui donne un total de 10 millions. Selon la firme, il faudra ajouter encore 1,7 million pour aménager des remblais sous de futures habitations.

En multipliant les quantités de sols contaminés et de débris qui ont été traités selon le bilan final de réhabilitation par les coûts unitaires établis par la firme Aménatech en 2007, nos propres calculs nous amènent à croire que la décontamination comme telle a pu coûter seulement 6 millions de dollars. Des experts consultés par La Presse estiment que cette évaluation est raisonnable. Il a été impossible de poser des questions à M. Marcotte sur ce sujet. De son côté, la SHDM ne fait aucun commentaire.

La bonne gestion de la SHDM mise en doute

Joseph Farinacci, ancien responsable du service des transactions immobilières à la Ville de Montréal, met en doute la bonne gestion de la SHDM, qui était alors dirigée par Martial Fillion. «Il est clair que la SHDM n'a pas agi avec compétence quand elle a accepté de soustraire autant de millions de dollars du prix de vente, sur la base de rapports incomplets», a dit M. Farinacci, qui a quitté son poste en mars 2007 parce qu'il était en désaccord avec la gestion de ce dossier précis.

M. Fillion a été démis de ses fonctions cet automne, la firme KPMG ayant constaté qu'il avait outrepassé ses pouvoirs dans certaines de ses transactions avec le groupe Catania. Ce groupe construit quelque 1800 unités d'habitations dans le Faubourg contrecoeur, avec l'aide de la SHDM et de la Ville.