Chaque année, de 10 à 20 personnes perdent la vie en naviguant sur les cours d'eau du Québec. Depuis janvier, 11 plaisanciers sont morts. Mais ce faible nombre d'accidents n'est que la pointe de l'iceberg.

«Il y a peut-être 200 incidents ou plus chaque été qui pourraient être très dangereux. Ils ne sont pas comptés dans nos statistiques car il n'y a pas de victime», dit le président du Conseil québécois du nautisme, Vahé Vassilian.

Selon plusieurs intervenants interrogés par La Presse, la sécurité nautique n'est pas encore ancrée dans la culture québécoise. «Heureusement que les gens naviguent sur des grandes surfaces. Car dans les faits, beaucoup de personnes ne savent pas du tout comment conduire. S'ils naviguaient sur des cours d'eau étroits, il y aurait beaucoup plus d'accidents», affirme Ginette McDuff, directrice générale de Sogerive, organisme paramunicipal qui gère le port de plaisance Réal-Bouvier à Longueuil.

Au début de l'année, Mme McDuff a dû interpeller un homme qui partait en bateau sans gilet de sauvetage et sans système d'appel à l'aide. «En plus, il partait avec sa femme et son bébé, dit-elle. Il n'avait aucune notion de sécurité.»

Des règles de base bafouées

Présidente du club de canoë de Lachine, Christine Granger affirme elle aussi que très peu de gens maîtrisent les notions de navigation nautique. Parmi les règles les plus souvent bafouées, Mme Granger cite en exemple les petites embarcations qui circulent au centre des lacs, les conducteurs qui consomment de l'alcool à bord et les bateaux à moteur qui font de grosses vagues près des petites embarcations.

En nautisme, la règle veut aussi que l'embarcation la plus manoeuvrable cède toujours le passage. En théorie, les voiliers ont donc presque toujours priorité. «Mais quand un bateau à moteur suit un voilier, dès qu'il voit une brèche, il le dépasse», note Mme McDuff.

Selon elle, il suffit d'assister aux feux d'artifice de La Ronde sur l'eau pour constater l'inconscience de plusieurs navigateurs. «Certains sont 12 dans une chaloupe, avec de l'alcool, remarque-t-elle. D'autres bateaux passent très près d'embarcations ancrées et risquent de passer dans leur cordage. Il y a vraiment plein de gestes dangereux qui sont faits ces soirs-là!»

Depuis 1999, Transports Canada impose progressivement des cartes de navigateur aux conducteurs de bateaux à moteur. Pour obtenir ce document, il suffit de passer un examen de connaissances nautiques sur l'Internet ou dans des classes spécialisées. Coût de l'opération: 50$.

À partir du 15 septembre prochain, cette carte sera obligatoire. «La Sûreté du Québec et le ministère des Ressources naturelles auront le mandat de faire les vérifications», dit la porte-parole de Transports Canada pour le Québec, Marie-Anyk Côté.

Mais cette mesure n'est que de la poudre aux yeux, selon plusieurs acteurs du secteur nautique. «N'importe qui peut passer l'examen et avoir la carte, affirme Mme McDuff. C'est très facile et on peut consulter l'Internet durant l'examen!»

M. Vassilian est du même avis. «Nous discutons avec Transports Canada pour que l'encadrement des examens soit meilleur et que les questions soient plus difficiles», dit-il.

Pas un permis de conduire

La responsable des cartes de conducteur à Transports Canada, Martine St-Germain, explique que l'objectif des cartes est «d'augmenter les connaissances en sécurité nautique des conducteurs». «Ce n'est pas un permis de conduire», dit-elle.

M. Vassilian estime toutefois qu'un examen pratique devrait être obligatoire avant de pouvoir naviguer. «Je vois régulièrement des gens s'acheter et conduire des bateaux de 30 à 40 pieds alors qu'ils n'ont aucune expérience, note-t-il. Ça n'a pas de bon sens! Il devrait y avoir des examens pratiques comme dans le cas des voitures.»

Le président de l'Association maritime du Québec, Yves Paquette, croit pour sa part que les conducteurs incompétents sont l'exception. «Je dirais qu'il y a le même pourcentage de gens imprudents sur l'eau que sur les routes, déclare-t-il. Les gros bateaux coûtent cher. Les gens qui se les achètent suivent souvent des cours pour ne pas les abîmer.»

Le copropriétaire de la marina Le Nautique à Saint-Jean-sur-Richelieu, Pierre Sénéchal, affirme lui aussi que les plaisanciers sont généralement compétents. «Quand ils ne sont pas sûrs, ils vont suivre des formations», dit-il.

Mais selon Mme McDuff, il est temps que le gouvernement serre la vis aux plaisanciers. «Le loisir gagne en popularité. Ma marina est pleine et j'ai des listes d'attente de 100 personnes chaque été pour occuper mes quais. Va-t-il falloir attendre qu'il y ait plus de morts pour faire quelque chose?» demande-t-elle.