Dans une autre vie, Haroun Mir travaillait comme conseiller auprès du commandant Ahmed Shah Massoud, le leader militaire afghan qui a combattu l'occupation soviétique, puis le régime des talibans, avant d'être assassiné le 9 septembre 2001. Depuis, M. Mir a fondé le Centre afghan pour la recherche et les études politiques à Kaboul et est devenu un analyste politique réputé. Il a répondu par courriel aux questions de La Presse sur sa vision des enjeux du scrutin de demain.

Q Dans le contexte du manque de sécurité actuel, l'élection de demain a-t-elle un sens?

R L'élection en tant que telle n'est pas un objectif en soi, elle s'inscrit dans un processus de stabilisation. Mais si l'Afghanistan, comme c'est probable, se retrouve plus faible au lendemain du vote, alors celui-ci n'aura pas servi les intérêts des Afghans, qui ont un besoin urgent de stabilité politique.

 

Q Dans quelle mesure l'insécurité actuelle risque-t-elle d'empêcher les Afghans d'exercer leur droit de vote?

R Selon la Commission électorale afghane, environ 10% des bureaux de vote pourraient être fermés le jour du scrutin. De plus, les talibans ont distribué des tracts dans lesquels ils avertissent les gens de ne pas sortir de chez eux pour aller voter. Je crois que c'est une menace réelle pour les Afghans qui vivent dans des villes et villages où il y a une forte présence des talibans.

Les derniers attentats à Kaboul et Jalalabad montrent clairement que les talibans sont bien décidés à faire dérailler l'élection. Je crois qu'un nombre significatif de gens dans les provinces du Sud et de l'Est, et même dans certains districts du Nord, préféreront rester chez eux demain. Dans l'ensemble, la participation au vote pourrait être inférieure à 40%.

Q À partir de quel taux d'abstention le futur président ne pourra-t-il plus prétendre représenter légitimement l'ensemble des Afghans?

R La légitimité du futur président ne dépend pas tant du taux de participation que de la répartition géographique et de l'appartenance ethnique des électeurs. Par exemple, si les gens du Sud et de l'Est, qui sont majoritairement pachtounes, ne votent pas en grand nombre et que le président est élu surtout par des Tadjiks, des Ouzbeks ou des Hazaras, il va avoir un problème sérieux de légitimité.

Q S'il est réélu, le président Hamid Karzaï promet de tenir une loya jirga, c'est-à-dire une grande assemblée selon la tradition afghane, et d'y engager un dialogue avec les talibans. Quelles sont les probabilités pour que cela fonctionne?

R Ça me paraît très problématique. Il y a un risque réel que le pays se trouve ethniquement polarisé après les élections. Une loya jirga vise à obtenir un consensus parmi tous les groupes ethniques. Je crains que cela ne soit impossible après un vote aussi polarisé. De plus, les talibans n'ont pas intérêt à s'asseoir à la même table qu'un futur gouvernement Karzaï, qui risque de manquer de crédibilité aux yeux de nombreux Afghans

Q Est-il possible qu'un scénario semblable à ce qu'a vécu l'Iran, où des électeurs déçus par un scrutin jugé frauduleux sont sortis massivement dans les rues, survienne en Afghanistan après l'élection?

R Si un candidat majeur n'accepte pas le résultat de cette élection, surtout après un deuxième tour, je n'imagine pas les Afghans protester pacifiquement, comme l'ont fait les Iraniens. On n'a qu'à se rappeler ce qui est arrivé après l'accident de la route impliquant des militaires américains, qui avait conduit à des émeutes à Kaboul, en mai 2006. Le risque d'émeutes est grand en cas de résultats contestés.

Q Pensez-vous qu'il y aura un deuxième tour de la présidentielle?

R La probabilité est forte, de plus de 60% selon moi, parce que le vote des Pachtounes reste très divisé et que Ramazan Bachardost (quatrième candidat à la présidence pour la popularité) pourrait gagner beaucoup de votes chez les chiites hazaras. Et puis Abdullah Abdullah (principal rival de Hamid Karzaï) a été très actif depuis cinq semaines, et il peut attirer beaucoup de votes dans différentes provinces.