Une sommité scientifique en matière d'amiante, affiliée au Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), estime que le Canada bafoue sa politique sur les droits de la personne en exportant cette substance cancérigène dans le tiers-monde.

Ce point de vue est partagé par 14 experts québécois en santé publique, qui exhortent Ottawa à interdire la production et l'exportation d'amiante chrysotile dans une lettre intitulée «Cessons le mensonge», publiée aujourd'hui dans les pages FORUM de La Presse et sur Cyberpresse.

 

«Il est tout à fait désolant de voir le Canada exporter un produit aussi dangereux dans les pays en développement», lance le Dr Leslie Stayner, qui a présidé plus tôt cette année les travaux de révision épidémiologique du CIRC sur l'amiante chrysotile.

«Il est faux de prétendre que l'amiante chrysotile peut être utilisé de façon sécuritaire dans des pays comme l'Inde puisque nous-mêmes, dans les pays développés, nous n'avons pas été en mesure de limiter les risques associés à cette substance, responsable encore aujourd'hui d'une épidémie de maladies liées à son utilisation passée», ajoute l'épidémiologiste de l'université de l'Illinois, que La Presse a joint à Chicago.

Ce cri du coeur est sensiblement le même que celui qu'ont lancé une douzaine d'experts du réseau de la santé publique du Québec, dont André Dufresne, directeur du département de Santé environnementale et santé au travail de l'Université de Montréal, Fernand Turcotte, professeur émérite de la Faculté de médecine de l'Université Laval, et Louis Drouin, de la Direction de la santé publique.

«Le Canada proclame que ce qui est dangereux pour les Canadiens ne l'est pas pour les personnes du tiers-monde», dénoncent-ils dans leur lettre.

«L'Institut du chrysotile prétend que des contrôles sécuritaires rigoureux existent dans ces pays. C'est complètement faux, ajoutent-ils. Un documentaire récent de la Société Radio-Canada (CBC) a filmé les conditions effroyables d'exposition des travailleurs en Inde qui manipulent l'amiante exporté par la compagnie Lab Chrysotile. Les ouvriers étaient couverts de poussière d'amiante et en respiraient des niveaux élevés, ce qui détruira leur santé et celle de leurs familles.»

Rappelons que le Canada et le Québec se sont toujours opposés à l'inscription de l'amiante chrysotile à la liste des produits dangereux de la convention de Rotterdam, malgré l'avis du comité d'experts du traité. Ce dernier a pour but «d'encourager le partage des responsabilités et la coopération dans le domaine du commerce international de certains produits chimiques dangereux».

Cela autorise le Canada à vendre de l'amiante aux pays du tiers-monde sans avoir à les informer que c'est un produit dangereux, notent les scientifiques. « Au contraire, les «experts» désintéressés de l'Institut du chrysotile les assurent que «les produits d'amiante-ciment sont absolument sûrs». Rien n'est plus faux selon l'OMS (Organisation mondiale de la santé).»

Les partisans de l'amiante chrysotile, pour leur part, dénoncent l'acharnement des scientifiques et de la classe politique. «Il y a sûrement bien des produits qui sont utilisés de façon non sécuritaire dans les pays émergents. Or on ne parle pas de leur interdiction formelle pour autant», souligne Clément Godbout, président de l'Institut du chrysotile, lobby de l'industrie.

«Pourquoi bannir l'exportation de l'amiante et continuer de permettre la production et la vente de tabac? renchérit le maire de Thetford Mines, Luc Berthold. Parce que, politiquement, il est plus facile de taper sur une petite communauté qui tente par tous les moyens de survivre que de s'attaquer au vrai problème de notre société.»

Le maire Berthold est d'ailleurs en colère contre le chef du Parti libéral du Canada, Michael Ignatieff, qui s'est récemment positionné pour l'interdiction de l'exportation de l'amiante.

«La position anti-Québec de M. Ignatieff dans le dossier du chrysotile est en train de causer un tort irréparable à un secteur important de l'économie québécoise, soutient-il, et c'est à lui qu'il revient de mettre un terme à cette campagne de dénigrement.»

Pour joindre notre journaliste : francois.cardinal@lapresse.ca