Bien des mots pourraient qualifier l'architecte Phyllis Lambert, fondatrice du Centre canadien d'architecture: visionnaire, militante urbaine, mécène... Nous en avons retenu un autre: rassembleuse. Car pour Phyllis Lambert, une ville ne peut plus se construire à la pièce et sans une forte vision commune. C'est pour cette raison qu'elle préside l'Institut des politiques alternatives de Montréal (IPAM), fondé sous sa direction.

Q: Le 14 octobre dernier, en compagnie d'autres personnalités du monde de l'architecture, de l'urbanisme et du design, vous avez lancé l'IPAM. Que s'est-il passé depuis?

 

R: Nous avons eu pas mal de réunions pour la définition, la structuration de l'organisme ainsi que la construction du site web. Nous avons rencontré le maire Gérald Tremblay et Mme Louise Harel. Nous parlions de créer l'IPAM depuis plus d'un an et demi. Il était devenu important d'avoir un organisme transversal qui s'occupe d'urbanisme dans toutes ses facettes: économie, transports, itinérance, démocratie urbaine, etc.

Q: Comme premier geste public, l'IPAM avait l'intention de réclamer un sommet des citoyens sur l'avenir de Montréal à la suite des élections. Où en est-on dans ce projet?

R: Nous allons formuler cette demande bientôt. Nous voulons tenir ce forum en même temps que les consultations sur le plan d'urbanisme de la ville, qui doit être revu après quelques années. Un plan d'urbanisme n'est pas qu'une chose technique. Il doit suivre un raisonnement, une vision sur ce que doit être la ville. Des consultations, c'est fait pour savoir qui nous sommes.

Q: Comment évaluez-vous la participation citoyenne dans la planification urbaine de Montréal?

R: Nous sommes partis de rien pour arriver beaucoup plus loin. Nous avons formé Sauvons Montréal, puis Héritage Montréal et Culture Montréal. Montréal compte 5000 organisations communautaires, des tables de concertation, plusieurs organismes économiques. Auparavant, les chambres de commerce n'étaient pas engagées dans les questions de citoyenneté. Cela a changé avec les consultations publiques concernant l'avenue McGill College.

Q: Pouvez-vous me donner un exemple très concret d'intervention de l'IPAM?

R: Prenons la question de la transformation de l'échangeur Turcot. On ne peut pas voir ce projet d'une façon isolée. Il faut évaluer son impact sur l'environnement urbain, sur la communauté environnante. Cela ne peut être uniquement un enjeu de transport.

Q: L'IPAM affirme: «Les réflexions et débats en matière de développement urbain sont de plus en plus concentrés sur des projets particuliers.» Est-ce à dire que l'on manque de vision d'ensemble?

R: C'est pour cela que nous voulons ce sommet des citoyens (elle lève les bras au ciel). Nous voulons un débat sur le plan d'urbanisme. À une époque, les plans d'urbanisme étaient des instruments de structuration de la ville avec des interventions très ciblées. Mais aujourd'hui, ce n'est plus une espèce de tapis qu'on étend sur une ville. Maintenant, on construit des villes en rapport avec le terrain, la population locale. On doit tout arrimer, faire l'inventaire de nos éléments-clés pour construire notre société.

Q: Montréal devrait-il s'appuyer sur les grands chantiers comme le recouvrement de l'autoroute Ville-Marie, le Quartier des spectacles ou l'aménagement des berges du fleuve pour réussir son entrée dans le XXIe siècle?

R: Une partie de l'autoroute Ville-Marie a été recouverte par le Quartier international de Montréal. Les gens qui vivaient autour étaient d'accord. Dans le cas du Quartier des spectacles, il y a eu de longues discussions et une réflexion quant à son impact sur les transports. Quand on discute des projets avec les citoyens, on arrive quelque part. Mais quand on perd patience et qu'on les impose, ça ne marche pas.

Q: Quelles sont les plus grandes forces de Montréal?

R: La culture! Montréal est une ville culturelle. Et aussi sa société civile. J'ai du mal à penser à un autre endroit où autant de gens s'occupent de leur ville de façon bénévole. Ils ne le font pas pour l'argent ni pour être reconnus. Ils croient à un lieu où l'on peut bien vivre. Dans le domaine de la justice sociale aussi, il y a des gens extraordinaires.

Q: Quelles sont ses principales faiblesses?

R: La gouvernance reste très difficile. Nous n'avons pas trouvé les moyens de nous doter d'une structure de fonctionnement qui marche (NDLR: rapports ville centre-arrondissements, conseil d'agglomération, etc.). L'autre grand problème est le fait qu'on n'ait pas d'autres sources de revenus que les impôts fonciers. Cela met de la pression sur des quartiers où l'on veut reconstruire. Ailleurs, dans les grandes villes, il y a toutes sortes d'autres mécanismes de taxation. Les relations avec le gouvernement du Québec sont aussi au désavantage de Montréal.

Q: Il y a quelques années, vous avez créé le Fonds d'investissement de Montréal, qui se consacre à la rénovation de logements communautaires et abordables. Quel bilan faites-vous de cette action?

R: C'est le seul organisme à faire de l'habitation sociale avec le privé. On voudrait que d'autres personnes se joignent à nous car c'est un grand succès. Nous amorçons la phase 3. Le but est d'aider tous les quartiers défavorisés, de leur donner une meilleure santé. C'est très important pour les enfants qui y vivent.

Q: Dans quels secteurs de Montréal aimez-vous vous promener?

R: Évidemment, j'aime bien le quartier que j'habite, le Vieux-Montréal. Les bords du canal de Lachine, ça, c'est formidable! Il n'y a pas d'autos, il y a ce paysage industriel tourné vers la ville. Et Hochelaga-Maisonneuve, un quartier très intéressant avec un centre, l'avenue Morgan, le marché public, une ancienne caserne de pompiers modelée sur un bâtiment de Frank Lloyd Wright, un magnifique bain public, etc.

Q: Lorsqu'on évoque les grands architectes contemporains, on pense tout de suite aux bâtiments et aux structures qu'ils ont dessinés. Or, dans votre cas - et en dépit de vos talents d'architecte -, c'est votre engagement, votre militantisme urbain qui retiennent l'attention. Cela est-il réjouissant ou attristant?

R: C'est plus que réjouissant (grand sourire), c'est magnifique! On peut travailler avec beaucoup de gens, on peut participer à beaucoup de choses pour enrichir la ville et ajouter aux meilleures pratiques qui se font mondialement. Au fond, ce qu'on veut, c'est faire avancer la démocratie dans la société et aider les gens à se réaliser le plus possible.