Pourquoi tant de haine sur l'internet? Quelle mouche pique donc tous ces gens qui se démultiplient dans les blogues, dans les forums et dans des boîtes de courriel? Tous ceux qui passent des heures à cracher leur venin à grands coups de médisances, d'injures et de calomnies à des gens qu'ils ne connaissent ni d'Ève ni d'Adam feraient mieux de se méfier: ce petit jeu n'est peut-être pas aussi innocent qu'il n'y paraît. 

Maude (nom fictif) était une très bonne journaliste. Elle l'est toujours, d'ailleurs, mais ailleurs. Ailleurs qu'à la télévision, où les courriels quotidiens que lui assénaient des téléspectateurs ont fini par lui donner une aversion totale des caméras et, pendant un temps, d'elle-même.

Les comédiennes et les présentatrices redoutent généralement leurs premières rides. Maude, elle, les attendait, désespérément. Son péché à elle: avoir l'air jeune.

«J'étais dans la vingtaine et j'avais tellement hâte d'avoir les cheveux gris et d'avoir l'air vieille!»

Les messages pleins de fiel lui arrivaient par bourrées dans la boîte de courriel de la salle de nouvelles, accessible à tous ses collègues. Le très classique «On t'a laissée sortir de la garderie aujourd'hui?» était décliné de mille façons.

«J'ai été dégoûtée de constater que le seul fait de me montrer à la télévision me rendait aussi vulnérable. Jamais on ne m'attaquait à cause de mon travail. C'était toujours sur mon look, sur ma jeunesse. Je gagnais 30 000$ par année et la chaîne de télévision ne me versait pas de cachet particulier pour m'acheter de vêtements, alors je portais mes chandails de cégep. C'est sûr que ça ne m'aidait pas!»

Maude était devenue une cible bien malgré elle parce qu'elle avait le malheur d'apprendre les rudiments de son métier sur une chaîne très regardée.

Mère désemparée

Il arrive cependant que de purs inconnus soient tout autant pris à partie.

Pour Marie-Lyne Pratt, c'est arrivé dans des sites internet pour nouvelles mamans.

N'est-ce pas le haut lieu de l'empathie des mères débordées? Tout le contraire, dit Mme Pratt. «C'est l'endroit par excellence pour te faire ramasser.»

«On m'a dit que je n'avais pas connu l'expérience de la naissance vu que j'avais eu une césarienne, commence-t-elle. Quand j'ai raconté que j'arrêtais d'allaiter, on m'a traitée de lâcheuse. Quand je suis retournée sur le marché du travail, on m'a dit que j'aurais intérêt à faire le ménage dans mes priorités. Il y a même une mère qui est venue me relancer sur ma propre page Facebook. J'en ai presque fait une dépression.»

À cause d'opinions gratuites de purs inconnus? «Les familles sont moins nombreuses qu'avant, on est moins entouré et on va chercher des appuis là où on peut. Je suis allée sur ces sites en me disant que ça me mettrait en contact avec des femmes qui vivaient la même chose que moi. Dans les faits, j'y ai surtout trouvé des femmes qui voulaient se convaincre elles-mêmes qu'elles faisaient les bons choix et qui se sentaient menacées par celles qui ne prenaient pas les mêmes décisions qu'elles. Et ces messages, je les recevais au moment même où j'étais moi-même bouleversée par la perspective d'envoyer mes enfants à la garderie.»

«Arrête donc de respirer»

Cécile Gladel, journaliste indépendante, est tombée à la renverse quand elle est devenue blogueuse dans Branchez-vous. Toutes les insultes possibles y ont passé, plusieurs de nature sexuelle, d'autres du type: «Arrête donc de respirer.»

Parce qu'elle a aussi un blogue personnel où elle se présente comme femme indépendante et célibataire, certains lecteurs de Branchez-vous ont présumé qu'elle était lesbienne. Elle a donc été prise à partie, dans son blogue professionnel, par des homophobes, d'une part, et des misogynes d'autre part.

«Au début, j'étais très sensible à tout ce que je lisais. Je ne le suis plus. Ça a au moins eu ça de bon.»

Les blogueurs consultés ont évoqué des sujets qui les rendaient particulièrement vulnérables aux commentaires de tarés. Las de trop de haine, certains évitent, si possible, de parler d'immigration, de la tuerie de Polytechnique, d'allaitement, de garderies, d'accommodements raisonnables. Ça, ça dérape presque systématiquement.

Cela étant dit, souvent, ça vient du champ gauche. «Tu peux venir d'écrire sur un sujet comme le sommet de Copenhague que tu reçois une pluie d'insultes personnelles», dit Cécile Gladel.

Hockey et menaces de mort

Faudrait-il ajouter le hockey à la liste des sujets «dangereux»? François Gagnon, journaliste sportif et blogueur à La Presse, a déjà reçu des menaces de mort dans son blogue. La police en avait été informée.

À côté de ce cas extrême, il y a la haine qu'on finit par trouver ordinaire. Comme Cécile Gladel, François Gagnon dit que cela a finalement été aussi très thérapeutique pour lui. «À la base, je suis très soupe au lait. Je le suis encore, mais beaucoup moins! Je constate que, peu importe ce que tu écris, tu seras toujours critiqué et souvent même accusé d'être «vendu» par des camps souvent très opposés. Je réalise qu'il y aura toujours certaines personnes qui n'ont rien d'autre à faire que d'écrire de longues tartines, sur mon blogue et sur les autres, avec une seule et même intention: semer la zizanie.»