La députée péquiste de Rosemont, Louise Beaudoin connaît Lucien Bouchard depuis des années. En 1985, M. Bouchard était ambassadeur du Canada en France et elle, déléguée générale du Québec à Paris. Puis elle été ministre dans le gouvernement de M. Bouchard de 1996 à 2001. La Presse l'a interviewée à Montréal dans la foulée des déclarations de M. Bouchard cette semaine.

Q: Quelle a été votre réaction aux propos de Lucien Bouchard?

R: J'ai été secouée et bouleversée. Il avait l'air bien fâché. Et à ce qu'on m'a dit, jusque-là, rien dans la conversation ne débouchait sur ce sujet. Mais j'ai été contente le lendemain de voir la déclaration de Mme Marois, sur le fond et avec le ton qu'elle a adopté, très zen.

 

Q: On a reproché à M. Bouchard d'avoir une attitude «après moi le déluge»; d'autres ont aussi dit qu'il avait toujours été tiède dans ses convictions souverainistes, ce qui expliquerait sa sortie. Qu'en pensez-vous?

R: Non, je suis vraiment bouleversée. J'ai connu Lucien Bouchard extrêmement déterminé, non seulement pendant la campagne référendaire de 1995, mais aussi par la suite. Je peux témoigner qu'il y pensait tous les jours, à la souveraineté. Quand la Loi sur la clarté a été adoptée à Ottawa en 2000, ce n'est pas quelqu'un qui disait: on baisse les bras et on s'en va chez nous.

Q: D'autres ont dit que le point de vue de M. Bouchard représente celui de la majorité des Québécois, que la souveraineté n'est pas près de se réaliser.

R: Si Lucien voulait voir ça de son vivant, il faudrait qu'il soit plus qu'un souverainiste passif. Je suis de la même génération que lui. Et moi, je n'ai pas jeté l'éponge. C'est ce qui me rassure au Parti québécois. On a pu affirmer à une certaine époque que c'était le parti d'une génération. Ce n'est pas le cas. Parmi les membres, dans la députation, il y a des gens de toutes les générations. Cela dit, il y a des raisons identitaires de réaliser la souveraineté, mais il y a aussi des raisons qui me tiennent à coeur et qui ont trait à la mondialisation. Et c'est ma conviction personnelle: mieux vaut être un pays que la province d'un autre pays. À Copenhague, M. Charest s'est fait dire que le Canada ne parlait que d'une seule voix. Dans le débat sur l'avenir de la planète, le Québec est inexistant et on est associés à un État voyou. Sur Haïti, M. Charest voulait une place à la conférence internationale sur la reconstruction et il s'est fait dire de rester chez lui.

Q: M. Bouchard semble aussi toucher une corde sensible en disant qu'il y a d'autres priorités...

R: Il dit: «Il faut faire autre chose avant de faire la souveraineté.» J'ai entendu ça tellement souvent! Mais quand il était là, on faisait les deux en même temps. Pendant cinq ans, il pensait à la souveraineté tous les jours. Tous les mercredis au Conseil des ministres, c'était une de nos préoccupations en plus de gouverner le Québec. Concilier les deux, ce n'est pas facile, mais on peut et on doit le faire. S'il trouve qu'on ne s'occupe pas assez de santé, de décrochage scolaire et de toutes ces questions très importantes, ce ne sont certainement pas des critiques adressées au Parti québécois. C'est le Parti libéral qui est au pouvoir depuis sept ans!

Q: Mais si vous êtes élus, quelle sera la priorité? La souveraineté ou les problèmes dont vous parlez?

R: Ce sera un gouvernement souverainiste. On va faire comme M. Duceppe à Ottawa. Tout est dans notre Plan pour un Québec souverain. (NDLR: Le document de quatre pages adopté en juin 2009 ne parle pas de nouveau référendum.)

Q: M. Bouchard reproche au Parti québécois de s'être radicalisé avec l'effacement de l'ADQ, dans le débat identitaire et celui sur les accommodements raisonnables. Qu'en pensez-vous?

R: Il n'a pas donné d'exemple concret. En même temps, il parle de l'importance de l'égalité homme-femme. On peut dire que, là où la laïcité recule, les droits des femmes reculent. C'est ce que nous avons dit en 2007, bien avant l'effondrement de l'ADQ, dans notre projet de loi 195 sur l'identité. On proposait d'affirmer les valeurs fondamentales du Québec: l'égalité homme-femme, la prédominance du français et la laïcité. C'est évident, au PQ, il y a une dimension identitaire: on demande la souveraineté du Québec! Mais ce n'est pas synonyme de repli sur soi. J'ai passé ma vie professionnelle à expliquer le Québec sur la scène internationale. On est loin du repli identitaire.

Q: M. Bouchard évoque la mémoire de René Lévesque, qui était selon lui «l'homme de la générosité» et qui «n'avait pas peur de voir arriver les immigrants». Quelle est votre réaction, vous qui avez côtoyé M. Lévesque jusqu'à la fin de sa vie?

R: Ce n'est pas vrai que, 22 ans après sa mort, on va le faire parler. Personne ne peut dire ce que René Lévesque aurait dit. Sûrement qu'il se serait adapté! Personne aujourd'hui ne parlerait des «Rhodésiens de Westmount», comme il l'avait fait! Mais les valeurs de René Lévesque sont celles du Parti québécois d'aujourd'hui.

Q: M. Bouchard estime que les menaces qui pèsent sur la laïcité sont exagérées; il est contre une «police de la burqa». Qu'en pensez-vous?

R: Il y a trois espaces: le privé, le public et le civique. L'espace civique, celui du vivre-ensemble, demande des règles communes. C'est vrai: comment pourrions-nous interdire la burqa dans l'espace public? Mais l'espace civique, c'est autre chose. On ne pourrait pas avoir un agent de la Société d'assurance automobile vêtue d'une burqa dans son guichet.

Q: Vous soulignez l'importance de trouver un terrain commun, des valeurs et des règles communes pour l'espace civique. Mais le mouvement souverainiste ne cherche-t-il pas à s'appuyer sur les différences, les divisions?

R: Quand on dit «nous», c'est très inclusif. On parle de tous ceux qui vivent sur le territoire du Québec. Il y a différentes manières d'aménager le pluralisme. Le rapport Bouchard-Taylor parle de multiculturalisme avec un twist, avec la loi 101. Moi je prône le républicanisme.

Q: Allez-vous tenter de reparler à M. Bouchard?

R: Depuis six ou sept ans, nous nous voyons environ trois fois par année pour déjeuner, pour faire le point. La prochaine fois va peut-être retarder un peu. Je n'ai pas envie de me chicaner avec Lucien. Mais je suis en désaccord avec lui.