La question des miracles du frère André a longtemps embarrassé les pères de Sainte-Croix qui n'ont rien ménagé dans les dernières décennies pour démontrer qu'ils se sont bel et bien produits.

Normal: pour que le frère André soit canonisé, il fallait absolument que l'on puisse lui attribuer un miracle qu'il aurait accompli après sa mort, «histoire d'affirmer la question de la vie après la mort, de démontrer qu'une personne décédée peut toujours agir», explique le théologien Jean Desclos.

 

À l'Oratoire, des dizaines de cannes et de béquilles sont toujours accrochées au mur en ex-voto.

Pourtant, un seul miracle a été soumis aux autorités de l'Église dans la démarche de canonisation. Un seul, non identifié, parce que la famille réclame l'anonymat, a expliqué hier le père Jean-Pierre Aumont.

La biographie de la journaliste Micheline Lachance explique bien le malaise qu'occasionnaient les miracles du frère André, déjà en son temps. «Savez-vous, père supérieur, que les activités de votre guérisseur commencent à faire du bruit? écrivait le Dr Joseph Albini Charrette, médecin et marguillier de la paroisse. J'ai ouï dire que le curé de la paroisse se plaint de cette vilaine habitude qu'a votre protégé de frictionner les gens avec de l'huile de saint-Joseph. Il prétend que le frère André est en train de faire de la religion catholique une religion de frottage. Il va pourtant falloir sévir.»

Assez vite, les supérieurs du frère André ont envisagé de l'empêcher de voir des malades. En 1904, son supérieur lui demandera de retirer les béquilles et les cannes déposées à côté de l'autel. Et c'est sans compter les plaintes formulées par des parents d'élèves du collège Notre-Dame ou déposées au Conseil d'hygiène de la mairie de Montréal.

En 1910, Mgr Bruchési ordonna une enquête complète pour y voir plus clair dans les «guérisons extraordinaires» attribuées au frère André. Au bout de quelques mois, l'enquête absoudra le frère André et conclura qu'il est «animé du meilleur esprit».

Une théologienne qui a demandé l'anonymat avoue, elle, toute son exaspération face à la question des miracles. «Quand on cherche à canoniser quelqu'un, on s'arrange toujours pour lui en trouver un.»

Au fait, demande-t-elle, combien cela a-t-il coûté en coûts avocats et en expertises diverses pour démontrer tout cela? La congrégation de Sainte-Croix n'a pas fourni de chiffres à cet égard.

«Combien de femmes héroïques, combien de nos mères et grands-mères à la tête de familles nombreuses pourraient aussi bien être invoquées? La cause de tous ces héros discrets ne chemine jamais jusqu'à Rome.»

Jean Desclos fait aussi observer que bien des gens formidables ne retiendront jamais l'attention de Rome et que l'Église en est consciente. «C'est pour ça qu'on a la Toussaint, une fête catholique qui célèbre tous les saints, connus ou inconnus.»