Demain, la communauté juive de Montréal soulignera la Yom Hashoah, jour de la commémoration de l'Holocauste. Cette année, la commémoration prend une signification particulière avec le 65e anniversaire de la libération des camps nazis. Thomas Strasser, survivant de l'Holocauste, a accepté pour l'occasion de nous raconter son histoire.

«On était un peu naïfs. Nous pensions que les Allemands allaient me laisser repartir. Si nous avions su la suite, nous ne nous serions pas dit "au revoir" à la gare. Nous nous serions dit "adieu".» Thomas Strasser n'avait que 18 ans quand les soldats allemands sont arrivés à Budapest, où il travaillait comme apprenti dans une boutique de sacs et de portefeuilles en cuir.

C'était en mars 1944, et il venait de passer deux jours chez ses parents. L'occupation allemande n'était alors qu'une rumeur dans le village de Nove Zamky, à une heure de la capitale. Parce qu'il craignait de perdre son emploi, le jeune Thomas a pris le train. «Si tu vois que les Allemands sont là pour vrai, reste dans le train et reviens», lui avaient dit ses parents.

L'apprenti n'en a jamais eu l'occasion.

À son arrivée à la gare, des officiers lui ont demandé ses papiers. Sur sa carte d'identité figurait un grand «Z». Une lettre qui disait tout: il était juif.

L'agent qui a regardé sa carte était hongrois. Par compassion ou par incompétence, il l'a laissé continuer son chemin. Thomas a laissé derrière lui de nombreux Juifs, regroupés et séparés du reste des voyageurs.

«Je ne l'ai su que plus tard, mais ces gens-là étaient les premiers de Budapest à être envoyés dans un camp nazi», raconte M. Strasser.

Quelques semaines plus tard, le sursis auquel il a eu droit prend fin: avec d'autres Juifs, il doit creuser des tranchées autour de la ville pour arrêter les Russes.

«Notre bataillon de travail devait creuser sous la pluie, avec presque rien à manger. Nous avons été là environ un mois», raconte-t-il.

Puis, les Russes avancent et les Allemands forcent les Juifs à marcher vers la frontière autrichienne.

Ils ne nourrissaient pas leurs prisonniers. Ceux qui tombaient de fatigue étaient fusillés. «Nous étions chanceux parfois de croiser des paysans qui nous lançaient de quoi manger... des pommes de terres crues, des oeufs... n'importe quoi.»

La chance de sa vie

Puis, dans la ville de Gonyu, à la frontière entre la Hongrie et l'Autriche, Thomas échappe, pour une deuxième fois, à la déportation vers un camp et la mort certaine.

C'est Raoul Wallenberg qui lui sauve la vie. L'homme d'affaires suédois est reconnu pour avoir sauvé de 30 000 à 100 000 Juifs de la déportation.

Ce jour-là, il convainc l'armée allemande d'envoyer les Juifs hongrois de moins de 16 ans et ceux âgés de plus de 60 ans dans un ghetto à Budapest plutôt que dans un camp. À ce moment, l'espérance de vie n'est alors que de deux heures dans les camps d'extermination.

Thomas a l'air jeune et il en profite. Il détruit ses papiers et prétend n'avoir que 15 ans. Les soldats le croient, et il retourne à Budapest.

Peu de temps après, l'Allemagne capitule. Thomas retourne à Nove Zamky, mais là où se trouvait la maison familiale, il n'y a plus rien. Sur les 4000 Juifs du village, une centaine seulement a survécu.

«J'espérais retrouver des membres de ma famille, sauf que personne n'a survécu. Pas un membre de ma famille. Ils ont tous été tués à Auschwitz.» Aujourd'hui âgé de 83 ans, M. Strasser paraît toujours plus jeune que son âge. Il raconte son histoire d'un trait, presque sereinement.

Pardonner, mais ne pas oublier

Le seul moment où la voix de Thomas Strasser se brise, c'est lorsqu'il récite une lettre que sa mère lui a envoyée la veille de son départ pour Auschwitz.

«Un jour, j'ai reçu une carte postale dans laquelle elle a écrit: «Mon cher fils, on nous emmène on ne sait pas où. Fais attention à toi. Habille-toi bien chaud. N'oublie pas tes chaussettes... Adieu.»» Il se tait, les yeux embrumés.

«Sur la carte, c'était plein de taches. C'était ses larmes. Les larmes de ma mère. Une vraie mère qui, jusqu'à la toute dernière minute, me disait des choses comme prends garde au froid.» Dans les nombreux déplacements et les travaux forcés imposés par les soldats allemands, Thomas a perdu cette carte, qu'il connaît toutefois par coeur. Tout ce qu'il lui reste de ses parents, c'est deux photos de passeport dont le photographe du village avait conservé les négatifs.

Deux photos, et beaucoup de souvenirs. Il ne les partage toutefois que lorsqu'on le lui demande. Il vit au Canada depuis 1948. Il s'est marié, il a eu trois enfants, et il est grand-père six fois.

«Je n'en parle pas tout le temps, dit-il, mais je veux qu'on s'en souvienne. Je n'ai pas de rancune, mais il ne faut pas oublier ces choses-là. Il faut apprendre de ce qui s'est passé.»

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Le dimanche 11 avril, Thomas Strasser participera à la commémoration de l'Holocauste à la Congrégation Tifereth Beth David Jérusalem, à Montréal. Le Centre commémoratif de l'Holocauste invite d'ailleurs les Québécois, d'origine juive ou non, à assister à la soirée dès 19h30.