En cette fin d'après-midi du samedi 2 juillet 1910, il y a de la grande visite dans le ciel de Montréal. Pour la première fois dans l'histoire de la ville, un avion passe au-dessus de la tête des citadins.

Venu de l'ouest, le frêle aéronef longe les berges du fleuve Saint-Laurent, passe au-dessus de l'île Sainte-Hélène, survole l'hôtel de ville et les édifices du Vieux-Montréal et retourne vers les champs de Lakeside (Pointe-Claire), d'où il a décollé.

 

À bord, le comte Jacques de Lesseps peut être fier. Son appareil, un Blériot XI modèle Le Scarabée, a volé durant un peu plus de 49 minutes. Une éternité!

«De Lesseps pouvait être à peu près à 600 pieds d'altitude et nous entendions distinctement le bruit régulier de son moteur», écrit La Presse dans un reportage publié à la une.

Le reporter avait eu la chance de suivre le vol du Scarabée grâce à la complicité de deux propriétaires de voiture, une autre rareté à l'époque. «Il (de Lesseps) filait bien plus vite que notre auto qui, cependant, atteignait une vitesse de 50 miles à l'heure, par moments», ajoute le journaliste.

De Lesseps volait à bord du même modèle d'avion que celui qu'avait piloté Louis Blériot le 25 juillet 1909 pour la première traversée de la Manche.

Cent ans plus tard, dans une vieille grange de pierre du campus Macdonald, à Sainte-Anne-de-Bellevue, Richard Plante et une bande de copains travaillent à construire une réplique du fameux Scarabée, qu'ils rêvent de voir voler d'ici à la fin de l'année. Une belle façon de célébrer le centenaire de ce premier vol au-dessus de Montréal... et de récompenser un projet né il y a près de 10 ans!

Lorsque Richard Plante parle de «Louis» avec une affection évidente, il ne s'agit donc pas de son frère, de son meilleur ami ou d'un collègue avec qui il va prendre une bière ou jouer au bowling. Il s'agit bien entendu du célèbre aviateur.

«Ça fait 10 ans que je vis avec Louis Blériot», lâche-t-il durant la visite de cet étonnant atelier où des pièces de toutes sortes sont étalées sur des tables de fortune.

Qu'en pense sa femme? Richard Plante hoche la tête, l'air de dire: «C'est une sainte.»

«Elle prend une part très active au projet», jure-t-il.

En fait, ils sont autour d'une dizaine. M. Plante, sa femme, des amis, des connaissances qui se sont greffées une à une à ce projet un peu fou. Évidemment, ils sont tous passionnés d'aviation, d'histoire ou de mécanique. Richard Plante, maintenant retraité, a fait carrière dans l'audiovisuel. Un membre de l'équipe a été violoniste dans l'OSM. Un autre, qui a pratiquement 90 ans, ne manque pas une séance de travail.

Fabriqué à la main

«J'étais fasciné par l'aviation, surtout par les avions des années 1910, raconte Richard Plante lorsqu'on lui demande d'expliquer la genèse de ce projet. Puis je me suis intéressé à l'histoire de ce premier avion à passer au-dessus de Montréal, le 2 juillet 1910. C'était juste ça....»

Juste ça! Reconstruire le Scarabée. Pièce par pièce. Morceau par morceau.

Visiblement, il ne savait pas dans quoi il se lançait.

D'abord, il fallait trouver des plans de l'appareil. M. Plante a appris que les plans originaux avaient coulé avec une barge dans la Seine durant la Seconde Guerre mondiale et que rien n'avait été récupéré. Puis, la chance lui a souri.

«D'un collectionneur, j'ai appris qu'il existait des plans très précis du Blériot XI qui avaient été faits à l'époque, raconte-t-il en feuilletant un paquet de grandes pages écornées où sont dessinés les ailes, la carlingue, le moteur, la queue de l'appareil. C'étaient des plans qui avaient été publiés dans une revue de Berlin. Ils sont entièrement en allemand!»

Plans en main, le travail pouvait maintenant commencer. Un travail de moine. Un casse-tête de milliers de pièces où tout est à faire. Pas seulement les pièces, mais aussi les outils pour les faire!

«Pour faire des vis en forme de U, il a fallu concevoir l'outil pour les fabriquer», raconte le constructeur en nous montant le curieux appareil. Parfois, c'était plus long de faire les outils que les pièces. C'est énormément de travail. C'est très long. Trèèèèès long...»

Le moteur a quant à lui été acheté en Australie.

Un but: voler

Depuis le début du projet, Richard Plante et ses acolytes y ont consacré entre 15 000 et 16 000 heures par personne. Leur but ultime: le faire voler.

Oh! Rien de glorieux. Rien de spectaculaire. Richard Plante voudrait simplement voir son avion, une fois, juste une fois, lever du sol et se poser. Ce n'est pas lui qui sera aux commandes. Il ne sait pas voler. Et puis il y a des normes, édictées par Transports Canada, à respecter.

«Chaque soudure doit être homologuée», explique-t-il par exemple. Ailleurs, certains matériaux originaux ont dû être remplacés. «Les nervures des ailes ne sont pas en épinette comme les originales, mais en contreplaqué.»

Les ailes. Tout en courbes et faites de plusieurs petites pièces, il a fallu quatre ans pour les terminer. Et encore, au moment de notre passage, elles n'étaient pas encore entoilées.

N'empêche. Dans l'atelier, le travail autour du Blériot XI est pratiquement terminé. Il reste à poser le réservoir à essence, à installer la tuyauterie et les réservoirs d'huile, à entoiler. L'appareil a bien la forme que l'on imagine: filiforme, léger, translucide. On dirait un moustique.

Une fois l'avion envolé, que restera-t-il à Richard Plante de tout ce travail? «Cela aura été une bonne expérience», dit-il sans émotion particulière.

A-t-il un autre projet en tête après celui-ci?

L'homme de 64 ans s'esclaffe. «Peut-être pas de cette envergure-là, mettons.»

 

LA PREMIÈRE TRAVERSÉE DE LA MANCHE

Vitesse de l'appareil : 75 km/h

Distance parcourue : 38 km

Durée du vol : 37 minutes

Sources : U.S. Centennial of Flight Commission, Graphic News