Quand Caroline Fourest croise une femme portant le voile intégral dans une rue de Paris, c'est toujours la même image qui lui vient à l'esprit : l'image du Ku Klux Klan.

«Pour moi, ces femmes portent, et donc endossent, l'emblème d'une secte extrémiste menée par des fous furieux comparables aux membres du KKK», me répète l'essayiste et journaliste du Monde, qui participera demain, à la Grande Bibliothèque, au colloque «Égalité et laïcité, quelles perspectives?», organisé par le Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité.

Malgré la violence de l'image du KKK qui l'assaille, Caroline Fourest ne veut pas interdire le voile intégral dans les rues de la France comme le préconise le président Nicolas Sarkozy. «Moi, je crois plus à la persuasion qu'à l'interdiction. Je crois aussi qu'au nom de la sécurité, on peut restreindre le port du voile intégral dans des espaces publics fermés comme les magasins, les banques, les transports publics, mais pas la rue, sinon la démocratie cesse d'être un espace de liberté», dit-elle.

À 34 ans, malgré un air juvénile qui lui en donne 15 de moins, les cheveux blonds coupés à la garçonne, un regard direct, perçant, et une voix de velours qui masque une grande détermination, Caroline Fourest est une étoile de la France laïque. Son opposition farouche au prédicateur musulman Tariq Ramadan - dont elle a étudié les écrits et les discours pendant plus d'un an, avant de dénoncer son double discours dans le livre Frère Tariq - l'a rendue célèbre... mais lui a valu un plus grand nombre d'ennemis parmi les intégristes. L'un d'entre eux a publié son numéro de téléphone et son adresse sur le web, avec la mention «il faut que la louve reste dans sa tanière».

Caricature de Mahomet

En 2007, alors qu'elle faisait encore partie de l'équipe de rédaction de Charlie Hebdo, elle a défendu la cause de ce journal satirique accusé de blasphème pour avoir publié une caricature de Mahomet en une. On y voyait le prophète se prendre la tête dans les mains et se plaindre que c'est dur d'être aimé par des cons, les cons étant les intégristes.

Charlie Hebdo a gagné sa cause et Fourest, citée comme témoin au procès, était soulagée de voir le blasphème sauvé. Pour elle, le blasphème est non seulement un signe de santé, c'est ce qui protège la religion contre elle-même et permet aux modérés d'avoir raison sur les extrémistes.

«Dans le blasphème, il y a de l'humour, du recul, de la liberté. C'est ce qui manque cruellement au monde musulman». Malgré son penchant pour l'humour, Fourest a quitté Charlie Hebdo en septembre dernier à la suite d'un changement de direction.

Entre-temps, Fourest et sa compagne, la journaliste Fiammetta Vanner, ont été accusées de complot contre le Vatican en suggérant à une équipe de la télé suédoise d'interviewer le négationniste Richard Williamson quelques jours avant sa réintégration par le pape Benoît XVI. L'accusation a pris la forme d'une simple note diffusée par le Vatican. Ce n'est pas tous les jours que la plus haute instance catholique s'en prend à des journalistes.

Accommodements

Même si c'est la première fois qu'elle met les pieds à Montréal, la journaliste est très au fait de nos problèmes d'accommodements raisonnables. Elle a suivi les séances de la commission Bouchard-Taylor et y a consacré plusieurs pages de son livre La dernière utopie. Pour elle, multiculturalisme et laïcité ouverte ne peuvent tout simplement pas cohabiter. «Le multiculturalisme est une réalité mondiale, mais vouloir y répondre par une laïcité ouverte est une idée périlleuse et une dérive qui permet de tolérer les intolérants. C'est comme vouloir traverser un lac sur un bateau dont la coque est percée. Tôt ou tard le bateau va finir par couler.»

Malgré ses prises de position contre les intégrismes religieux, Fourest fait preuve d'une étonnante modération face au voile. Elle est pour l'interdiction du voile simple à l'école publique, mais contre son interdiction dans la rue ou ailleurs qu'à l'école. De la même manière, elle ne croit pas que l'expulsion de Naïma Atef Amed, cette femme qui portait un voile intégral dans un cours de français pour immigrants au cégep Saint-Laurent, soit la meilleure des solutions.

«L'expulsion ne règle rien, dit-elle. Il aurait fallu l'exclure provisoirement en lui proposant un accompagnement personnalisé pour lui expliquer les lois de ce pays et lui faire valoir ses obligations. Bref, lui donner une seconde chance. Je sais que ça coûte cher, que c'est compliqué comme processus, mais ça permet à la société de ne pas tomber dans la discrimination, le racisme et le rejet en bloc des minorités.»

La spiritualité, sujet intime

Née à Aix-en-Provence, en 1975, de parents catholiques modérés, Caroline Fourest n'a aucun problème à s'afficher comme féministe et comme lesbienne, mais elle refuse obstinément de dire à quelle enseigne religieuse elle loge. Elle trouve obscènes ceux qui étalent leur foi sur la place publique. «La spiritualité est un sujet trop intime pour en discuter en public, plaide-t-elle. Pour le reste, je suis laïque. La laïcité, c'est ce qui me permet d'être plus nuancée et moins antireligion. La laïcité, c'est aussi ce qui fait avancer le féminisme et les droits des femmes.»

Mais le plus frappant chez cette guerrière à la voix douce et posée, ce n'est pas tant son féminisme que sa vaste culture et l'ampleur de son érudition religieuse. Elle semble tout connaître et avoir tout lu sur le sujet. C'est, notamment, ce qui lui a permis de décrypter le double discours de Tariq Ramadan, mais aussi de comprendre l'instrumentalisation de la religion par les intégristes. À cet égard, elle est un exemple. Pour la laïcité bien sûr, mais surtout pour l'information.