«Cet enfant n'a pas été baptisé ni ondyé. Il faut l'appeler James. Il est né la nuit dernière à 3 heures. De malheureuses circonstances obligent ses parents à cette démarche. Ils seront bien aise de reprendre l'enfant dans quelques mois ou années s'il leur est permis. L'enfant n'est pas légitime.»

Cette note a été trouvée aux côtés d'un bébé trouvé par les Augustines de Québec, en 1918. Comme en fait foi une exposition en cours au Musée de la civilisation, au Québec, ces cas n'étaient pas rares.

Entre 1800 et 1845, les seules Augustines de Québec ont reçu chez elles 1388 bébés. Comme elles étaient cloîtrées et interdites de tout contact avec l'extérieur, elles avaient installé à l'entrée de leur couvent «un tour» espèce de plateau tournant - où les visiteurs pouvaient déposer lettres et colis. Il y a eu des colis, il y a eu des lettres, mais il y a eu, aussi, beaucoup de bébés qui ont été déposés.

Pour sa part, au fil de ses recherches, Andrée Lévesque, professeure d'histoire à l'Université McGill, estime qu'entre 1914 et 1930, 2000 enfants naissaient chaque année au Québec de mères célibataires.

Et il n'y avait pas que des abandons de bébés dans des couvents. Entre 1914 et 1940, dans le seul district judiciaire de Montréal, Mme Lévesque a retracé 146 infanticides, auxquels s'ajoutent 123 cas de négligence criminelle ou de décès liés au manque de soins et 23 autres imputables à une mort violente. Neuf mères ont été retrouvées. Une seule a été condamnée, à deux ans de prison. Les géniteurs? Absents.

De façon générale, fait observer l'historienne, «par sympathie ou par pitié, parce qu'on s'identifie à la mère, l'entourage n'est pas porté à alerter les autorités».

Le bébé, typiquement, sera mort naturellement des suites d'une mauvaise chute de la mère dans les escaliers ou sur le trottoir glissant. Servante, elle aura trop fait de ménage, officiellement.

Par ailleurs, même si la dissimulation d'une naissance était passible de la peine capitale au Bas-Canada jusqu'en 1812, «à Montréal comme ailleurs, la cour était clémente pour les mères rarement retracées».

À l'époque, l'absence de père, l'opprobre jeté sur les mères célibataires et leur «enfant illégitime» pouvaient expliquer l'abandon d'enfants ou les infanticides.

Aujourd'hui? Le psychologue Bernard Poulin, qui a fait des travaux sur l'infanticide, croit qu'il y en a deux grandes catégories. «Il y a ceux qui s'apparentent à des suicides élargis, qui sont commis par des parents incapables de se séparer de leur enfant dans la mort, puis ceux que les parents considèrent commettre par altruisme, pour épargner à leur enfant toutes les souffrances qu'ils ont eux-mêmes enduré.»