Si elle prenait vie, la statue de Sir Georges-Étienne Cartier, l'imposant monument au pied du mont Royal, en aurait long à raconter. Autour de son socle, les revendeurs de drogue font la pluie et le beau temps, complètement à découvert, pendant qu'en fond de scène de nombreux joggeurs, randonneurs et cyclistes arpentent les sentiers de la montagne.

«Hey! Yo! Hey!» s'exclame d'une voix forte - et à une distance de 30 pieds - un revendeur. Manteau bouffant, casquette, cheveux tressés, le jeune homme fait un signe amical, comme s'il s'adressait à un proche.

«Tu cherches du weed?


-Non, je veux juste manger mon lunch quelque part.»




Le revendeur tourne les talons et retourne à un banc près de la statue, où l'attendent ses amis.

Difficile de manger sans se faire déranger ici. En moins d'une heure, ils seront quelques-uns à venir offrir leur marchandise. Les plus subtils minent le geste de tirer une bouffée sur un joint. Les affaires semblent bonnes pour les revendeurs, puisque les clients défilent à la chaîne dans ce dépanneur du pot à ciel ouvert.

Les rafles policières successives n'ont visiblement rien changé. Les revendeurs, qui travaillent en groupe, ont simplement peaufiné leur art. Un système de vente structuré est en place, dans lequel tous les revendeurs jouent un rôle. Au grand dam des policiers.

Lorsqu'un client se présente, il est d'abord repéré par les revendeurs, entre autres ceux qui font le guet sur une partie surélevée de la montagne. Ceux-ci vont siffler ou communiquer par texto ou cellulaire l'arrivée de l'acheteur aux revendeurs postés plus bas, près de la statue.

Parfois, un revendeur à vélo va à la rencontre du client. L'acheteur sort quelques billets de sa poche, le revendeur sort la marchandise de la sienne. L'opération se fait au nez de tous. Puis le client repart tranquillement.

Pour éviter de se faire arrêter avec de grandes quantités de stupéfiants, les revendeurs se font fournir la drogue par leurs complices, notamment ceux qui roulent à vélo.

Lorsqu'un groupe de revendeurs quitte les lieux, un autre prend sa place. Un trio de trafiquants transporte même une radio portative pour écouter de la musique durant leur «quart de travail». L'un d'eux racole des clients sur le trottoir en bordure de l'avenue du Parc, tandis que les deux autres restent en retrait sur un banc.

***

«Tu cherches de quoi fumer?»

Assis sur sa bicyclette, Ernesto dévale la butte gazonnée par un après-midi ensoleillé. «On va aller à l'écart, je n'ai pas eu le temps de peser mon stock», enchaîne-t-il.

Les petits coins tranquilles, il y en a beaucoup derrière la statue. Les petits bancs en bordure des sentiers sous les arbres sont propices aux transactions. Ernesto enfonce sa main dans son sac à dos. Il en ressort un gros sac Ziploc rempli de marijuana. Il plonge de nouveau la main dans son sac pour en extirper une petite balance. «Tu en veux pour combien?»

Derrière lui, une jeune mère s'essouffle derrière sa poussette dans le sentier escarpé.

Ernesto raconte que les descentes policières font partie du boulot. Pour sa part, il travaille seul sur son vélo, sans trop se mêler aux petites bandes de revendeurs. Ces groupes de trafiquants ne se font pas la guerre et cohabitent dans une paix relative, raconte-t-il.

***

«Vous êtes de la police?» lance un jeune homme qui se dit musicien en s'approchant du véhicule de La Presse. Il connaît bien les revendeurs de la statue, avec qui il traîne fréquemment.

Au loin, deux cavaliers du Service de police de la Ville de Montréal et leurs montures font une ronde dans le parc. «Ce qui m'inquiète ici, c'est la violence. Des membres de gangs de rue proches des Bleus prennent de plus en plus de place ici. Ça fait des frictions», confie cet abonné de l'endroit.

«Des incidents graves? Il n'y en a eu aucun jusqu'à présent», nuance à ce propos le commandant Marc St-Cyr, du poste de quartier 20.

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Les revendeurs de la statue font partie du paysage, estiment de nombreux usagers du parc du Mont-Royal. «Ils ne me dérangent pas», explique René Martin, qui promène son poupon. «Je me suis fait accoster en allant boire de l'eau, mais sinon je n'ai jamais de problèmes avec eux», confie pour sa part Soha Rached-Dastous, qui court cinq fois par semaine sur le mont Royal.

Josh, un cycliste, s'inquiète pour sa part de l'influence néfaste que pourraient avoir les revendeurs sur son fils de 14 ans. «Il coupe dans le parc pour rentrer à la maison, comme plein d'autres élèves. Ça leur fait une tentation. Les revendeurs sont trop voyants!» peste cet homme, qui dit se faire solliciter sans arrêt.