L'argent comptant coule à flots dans plusieurs Églises évangéliques. Que l'église ait l'allure d'un squat ou d'un immense centre commercial, ses membres donnent en moyenne entre 1000$ et 1500$ par année. Les Églises engrangent parfois plus de 1 million. Et il n'est pas toujours facile de savoir qui empoche le tout.

En descendant les marches, chemin Queen-Mary, on a l'impression de s'engouffrer dans un squat. Mais au fond du couloir, passé l'épicerie de produits africains, nous voici à l'Église chrétienne de la Nouvelle Alliance.

L'endroit est plein à craquer. Peut-être 100 personnes. Toutes d'origine congolaise. Toutes tirées à quatre épingles. Rapidement, le pasteur fait distribuer des enveloppes. Elles sont dûment imprimées du sceau de l'Église. Dessus, il est écrit: «Ma semence». Il est aussi écrit qu'on peut payer par chèque ou comptant. Ensuite, il n'y a qu'à cocher la case voulue. La dîme. Les offrandes. La construction. Les dons au pasteur. Les dons spéciaux.

Pendant que les enveloppes passent, le pasteur insiste sur l'importance de les remplir. «Si l'enveloppe est trop petite pour recueillir tout votre argent, prenez une deuxième enveloppe. Et si la deuxième est trop petite, prenez-en une troisième!»

L'argent prend beaucoup de place dans plusieurs Églises évangéliques, qui ont pour mission de croître.

Sur le Plateau-Mont-Royal, l'Église Restauration a versé l'an dernier 1,4 million pour acheter l'ancienne église catholique Saint-Louis-de-France, qui a coûté 45 000$ en chauffage l'an dernier. Tandis que les musiciens finissent de se déchaîner sur leur batterie et leurs guitares électriques, le pasteur prend la parole. N'oubliez pas vos enveloppes, dit-il, avant de disserter sur les méfaits de l'avarice. À la fin du culte, on vend des petits postes de radio.

En moyenne, les fidèles des Églises évangéliques donnent chacun entre 1000$ et 1500$ par année, indique Michel Habib, de l'Association d'Églises baptistes évangéliques au Québec.

Cinq des Églises visitées au cours des dernières semaines par La Presse ont respectivement récolté 67 000$, 89 272$, 643 840$, 1,3 million et 4,3 millions. Ces sommes apparaissent sur les déclarations remises en 2009 à l'Agence de revenu du Canada.

La plus petite Église louait un local. Les autres possédaient chacune des terrains et immeubles d'une valeur totale de 425 000$, 1,8 million, 3,2 millions ou 8 millions.

Donner 10% de son salaire

Par un beau dimanche d'octobre, à l'Église de Dieu haïtienne de Montréal, des femmes coiffées de dentelle et de chapeaux fleuris défilent en dansant et en clamant «Amen!» à pleins poumons, le temps d'aller remettre leurs enveloppes à plusieurs hommes en complets sombres.  En entrevue dans son bureau exigu, le pasteur Joulbert Fleurent nous explique qu'il veut construire une nouvelle église, ailleurs, dans le quartier Saint-Michel. Avec ses 200 ou 300 fidèles, l'édifice actuel surchauffe et déborde, dit-il. «Mais on n'a pas de sous, on dépend de la collecte.»

Combien d'argent a-t-il amassé jusqu'ici? Sa réponse est tranchante: «Cela nous regarde.»

«Les pasteurs haïtiens peuvent se sentir menacés quand on leur pose des questions. C'est souvent une question d'insécurité plutôt que de malhonnêteté. Ils n'ont pas encore intégré la culture nord-américaine beaucoup plus transparente», déplore Fred Robinson, qui milite pour que les choses changent au tout nouveau Regroupement des présumées victimes d'abus pastoraux.

«Quand on a un projet de bâtiment, tous les chiffres doivent être dévoilés, il faut faire preuve d'une transparence complète, tranche pour sa part Michel Habib. Il faut élire des administrateurs. Le pasteur ne doit pas toucher à l'argent, ni savoir combien donnent ses fidèles.»

En pratique, les choses peuvent être très différentes.

Après le culte, c'est l'heure des comptes à l'Église nigériane Redemption Ministries Pentacostal Bible, à LaSalle. En entrant dans le bureau du pasteur Idorenyin Amana, on aperçoit sur la table une énorme pile de billets de 20$. Un collaborateur est en train d'inscrire la récolte du jour.

«Nous avons un commandement, dans le livre de Malachie 3:10, qui dit que nous devons donner un dixième de nos revenus à Dieu, explique le pasteur. Personne n'a de fusil sur la tempe, mais plusieurs observent d'eux-mêmes ce commandement. D'abord pour faire rouler l'Église. Ensuite pour subvenir aux besoins de la communauté.»

«Chez nous, il n'y a pas de pourcentage. Dieu a dit que celui qui donne doit le faire avec joie et selon ce qu'il a résolu dans son coeur. Les gens sont quand même généreux parce qu'ils veulent qu'on prenne de l'expansion», affirme Michel Habib au nom de l'Association d'Églises baptistes évangéliques au Québec.

De Matane à Granby en passant par Chicoutimi, plusieurs pasteurs évangéliques nous ont dit la même chose.

À Longueuil, l'Église Nouvelle Vie - la plus grosse Église évangélique du Québec et probablement la plus grosse église tout court - occupe d'immenses anciens entrepôts. On y trouve une librairie, une salle de culte pouvant contenir 2250 personnes et de grandes salles colorées grouillant de jouets et d'enfants. Dans une classe à part, l'Église respecte rigoureusement les règles imposées par la Loi sur les corporations religieuses. Mais elle adhère à la règle de 10%.

«On l'enseigne, mais les gens ne sont pas obligés de la suivre», précise l'un des pasteurs adjoints, Jocelyn Olivier.

Dimanche dernier, le culte a pris un moment des allures de téléthon. La salle s'est retrouvée plongée dans le noir tandis qu'une vidéo touchante apparaissait sur trois écrans géants, histoire d'inciter les fidèles à donner à la banque alimentaire Action Nouvelle Vie, partenaire (non religieux) de l'Église, qui assiste jusqu'à 10 000 personnes par mois.

En 2009, environ 3000 membres ont versé 3,7 millions en dons à l'Église Nouvelle Vie. Et quelque 400 personnes ont grossi leurs rangs cette année. «Si les gens ne donnaient pas, on ne pourrait pas exister et prodiguer toute l'aide qu'on donne, affirme M. Olivier. Les gens sont généreux parce qu'ils voient des résultats.»