Gérard Bouchard persiste et signe. Trois ans après la commission Bouchard-Taylor, le Québec n'a pas beaucoup avancé sur le chemin des relations avec les minorités religieuses. Le débat sur les accommodements s'est «enlisé», il est jonché de «malentendus et d'incertitudes», selon lui. Résultat: des erreurs de parcours dont certaines ont été carrément «grotesques».

Le coprésident de la Commission sur les accommodements raisonnables reprend donc son bâton de pèlerin interculturel, avec un symposium international qui aura lieu à la fin du mois de mai à Montréal. Objectif à court terme: échanger idées et expériences entre le Québec et l'Europe. À moyen terme: remettre à l'ordre du jour les recommandations de la commission Bouchard-Taylor, dont la plupart n'ont pas eu de suite.

Plusieurs exemples récents montrent à quel point le Québec a toujours besoin de balises en cette matière, dit l'historien et sociologue, qui s'est associé avec des experts québécois et européens pour organiser ce symposium.

Même si le débat est moins intense qu'il y a trois ou quatre ans, les controverses qui éclatent sporadiquement autour de questions telles que la prière au conseil municipal, ou encore le crucifix ou le kirpan dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, montrent que les «malaises ne sont toujours pas guéris», constate Gérard Bouchard. La question du crucifix est pourtant simple à trancher, selon lui: il n'a pas sa place dans un lieu qui symbolise l'État laïque, point à la ligne. Idem pour la prière. Le cas des sikhs qui n'ont pu entrer à l'Assemblée nationale à cause de leur kirpan est un peu limite, estime-t-il. Mais même si cette décision a été très populaire, elle ne tient pas la route quand on l'examine froidement, selon lui.

En revanche, les institutions publiques errent parfois en sens inverse. Gérard Bouchard n'en revient pas encore qu'il ait fallu l'intervention d'un ministre pour trancher le cas d'une élève de cégep qui tenait à garder son niqab (voile intégral) en classe. «Les exigences de cette femme étaient inacceptables, mais le plus surprenant, c'est que la direction du cégep ait été incapable de prendre une décision.» Voilà un exemple d'égarements «grotesques» qui, par leur caractère excessif, divisent l'opinion publique et discréditent tout le concept d'accommodement.

Le Québec n'en serait pas là s'il s'était doté d'une charte de la laïcité ou d'un «office d'harmonisation», sorte de centrale d'information sur les accommodements, comme l'a proposé la Commission.

Dans une sortie virulente, à l'automne 2009, Gérard Bouchard a accusé le gouvernement d'avoir failli à ses responsabilités sur ce sujet délicat et explosif. Hier, il a reconnu que Québec a fait quelques progrès depuis. Il y a eu des initiatives en matière de francisation et d'intégration au marché du travail, par exemple. En revanche, le projet de loi 94 sur les accommodements s'est empêtré dans un cheminement «chaotique». De plus, il va trop loin en forçant les femmes qui reçoivent des services publics à se dévoiler. Et pas assez loin en n'osant pas affirmer que l'égalité entre hommes et femmes est une valeur non négociable.

Gérard Bouchard ne craint-il pas de donner l'impression de rebrasser le même débat, mais dans une autre sauce? Le symposium ne sera pas «Bouchard-Taylor 2», assure-t-il. L'angle européen, notamment, viendra enrichir la discussion. Plusieurs pays européens vivent les mêmes déchirements que le Québec. La France et la Belgique, par exemple, ont interdit le port du niqab. En même temps, des pays de tradition multiculturelle, comme la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, sont en train de faire marche arrière, de crainte d'être débordés par les différences. De plus en plus, ils cherchent une manière de gérer la diversité quelque part à mi-chemin entre «la permissivité totale et l'interdiction totale». Comme le Québec.

Mais Gérard Bouchard a aussi tiré la leçon des lendemains de la grande saga de la Commission. Après la publication du rapport, il a quitté le Québec pour un contrat d'un an à Harvard. Et pendant cette année, il n'y a eu personne pour veiller au grain. «Si j'étais resté au Québec, c'est sûr que j'aurais été plus actif.»

Le mémoire issu du symposium connaîtra un tout autre sort, assure Gérard Bouchard, qui espère que beaucoup de gens qui comptent le signeront. Et que, cette fois, le gouvernement n'aura pas le choix d'y donner suite.

Le symposium sur l'interculturalisme aura lieu du 25 au 27 mai à Montréal. Le grand public y est invité. Pour en savoir plus: www.symposium-interculturalisme.com