Le passage de Bertrand Cantat sur la scène du TNM viendra «banaliser la violence faite aux femmes», ce que tente précisément d'éradiquer le gouvernement du Québec, constate la présidente du Conseil du statut de la femme, Christiane Pelchat.

Elle désapprouve sans équivoque qu'on ait fait appel à l'ex-chanteur de Noir Désir trouvé coupable du meurtre de Marie Trintignant, sa conjointe.

Mais mercredi au gouvernement Charest on refusait de se mouiller sur la décision du Théâtre du Nouveau Monde et du dramaturge Wajdi Mouawad de faire appel à M. Cantat pour une adaptation de La trilogie des femmes de Sophocle. Après que la ministre de la Culture Christine Saint-Pierre ait dit ne pas vouloir commenter «les choix artistiques» qui ont été faits, le ministre de la Justice Jean Marc Fournier a aussi évité de se prononcer. Pour lui ce sera aux douaniers canadiens de trancher - M. Cantat ne peut théoriquement rentrer au Canada pendant dix ans après sa condamnation. Il avait été condamné en 2003 pour ce crime perpétré en Lituanie. Il a été relâché en 2007 après avoir purgé la moitié de sa sentence.

Pour Christiane Pelchat, ce mutisme «ne me surprend pas, les gens ne veulent pas se prononcer s'en mêler. Or on parle quand même de quelqu'un qui a tué une femme à coup de poing» lance intense, Mme Pelchat, dans un entretien à La Presse.

La violence faite aux femmes a longtemps été mise de côté dans notre système judiciaire. Ce n'est que depuis les années 1980 qu'un mari peut se retrouver devant la justice pour le viol de son épouse. Pour elle on ne peut parler de réhabilitation, «on ne peut ramener un gars comme ça (sur scène). De l'engager c'est pas une bonne idée, c'est dérangeant... À moins qu'il fasse un spectacle pour justement sensibiliser les gens au problème de la violence», observe Mme Pelchat.

Devant le mutisme du gouvernement, Gérard Deltell de l'ADQ et Amir Khadir de Québec solidaire avaient des positions très tranchées, aux antipodes. M. Deltell a tenté en vain de faire adopter une motion pour exiger qu'Ottawa lui refuse le droit d'entrer au pays. Pour lui «c'est avec stupéfaction, colère et dégoût» que les citoyens ont appris l'intention du TNM. «M. Cantat n'est pas le bienvenu au Québec sous aucune considération» de soutenir le chef adéquiste.

Le gouvernement reste silencieux, «il faut vraiment vivre sur une autre planète pour ne pas voir qu'il y a un débat d'opinion publique», dira M. Deltell. Compte tenu du crime sordide et violent qu'il a commis, le chanteur français ne peut revenir ici «un peu comme si de rien n'était» poursuit-il.

Réhabilitation

À l'opposé, Amir Khadir croit que Cantat, «a payé sa dette à la société, et a donc purgé sa peine. Il a le droit d'être réhabilité».

«Nous, on croit en une justice qui est «réhabilitatrice», en une justice qui n'est pas revancharde, en une justice qui doit ne pas faire de différence envers les citoyens, qu'ils soient célèbres, des stars, ou des simples citoyens». On peut discuter du choix du dramaturge Mouawad, «mais nous, on n'est pas en faveur de lyncher les gens sur la place publique, même quand ils ont commis les pires crimes». Le Canada a ouvert les bras à des leaders israéliens comme Nethanyaou, «qui ont commis de graves crimes contre l'humanité» insiste-t-il.

Du côté du PQ, le critique en matière de culture, Yves-François Blanchet, accusait l'ADQ de faire «de la récupération politique un peu grossière». «Bertrand Cantat a été jugé dans un État de droit. Il a purgé sa peine. On ne refera pas son procès, même si on a un malaise. Les citoyens sont appelés à trancher en achetant ou pas un billet pour le spectacle», a-t-il affirmé.

Et que ferait-il lui-même? «J'ai beau avoir un gros malaise avec la partie éthique de la question, je ne m'interdirais pas d'aller voir la pièce pour ça», a-t-il répondu.

Selon lui, «l'État québécois n'a pas à intervenir dans la direction artistique», «n'a pas à censurer ou sanctionner les choix artistiques» du TNM ou d'une autre institution culturelle. Le Québec n'a pas à intervenir auprès de Citoyenneté et Immigration Canada. «Il doit respecter les juridictions, ne pas intervenir dans un sens ou dans l'autre. La loi doit tout simplement s'appliquer», a plaidé M. Blanchet.