Un douanier nu comme un ver qui importune la réceptionniste d'un hôtel; un autre qui pointe un pistolet à capsules vers un voyageur; un troisième qui fait passer de la cocaïne en contrebande: les rapports d'enquêtes internes de l'Agence des services frontaliers lèvent le voile sur des pratiques bien peu professionnelles.

Un total de 68 douaniers ont été congédiés ou suspendus depuis six ans, selon les rapports obtenus par La Presse grâce à la Loi sur l'accès à l'information. L'Agence a cependant pris soin de caviarder une bonne partie des renseignements, en effaçant non seulement le nom des fonctionnaires mis en cause, mais aussi leur lieu de travail et les dates des infractions.

Les détails restants suffisent néanmoins à composer un impressionnant bêtisier. Un florilège d'accrocs au code de conduite ou au Code criminel, susceptible d'assombrir la réputation de droiture et d'intégrité des gardiens de nos frontières.

Même lorsqu'ils ne sont pas en devoir, les douaniers sont censés avoir une conduite irréprochable. Plusieurs d'entre eux l'oublient. C'était le cas de cet agent des services frontaliers (ASF) qui «a fait des approches inappropriées auprès de la réceptionniste d'un hôtel et qui, plus tard dans la nuit, s'est à nouveau approché d'elle à la réception alors qu'il était complètement nu».

«Ce comportement, notent les enquêteurs, est une violation de la section du code de conduite de l'Agence qui porte sur la conduite des employés hors de leurs heures de service, car il nuit à la réputation de l'Agence.»

Un autre douanier s'est permis de tripoter une femme avant de l'autoriser à visiter un détenu dans une cellule. Les avances déplacées ne sont pas l'apanage des hommes. Au cours d'une enquête policière, une douanière a «flirté» outrageusement avec un policier, puis elle s'est identifiée comme ASF. Elle était «hostile et intoxiquée», soit par l'alcool, soit par des drogues.

Les douaniers ont réclamé de porter des armes. Encore faut-il ne pas les laisser traîner n'importe où. L'un d'entre eux a oublié la sienne dans une chambre d'hôtel, hors de son étui et le cran de sûreté levé.

Un autre a proféré des menaces à l'endroit d'un collègue: le rapport d'enquête ne précise pas s'il était armé, mais il indique que des armes et une arbalète illégale ont été trouvées chez lui. Il a été accusé au criminel, contrairement à cet ASF moins dangereux et qui pensait faire une bonne blague en pointant un revolver-jouet vers un voyageur au poste de douane. Voulant compléter son effet de surprise, il a appuyé sur la gâchette et fait exploser la capsule de poudre.

Les ordinateurs ne semblent pas toujours utilisés à bon escient. Un douanier s'est photographié en devoir, mais à moitié nu dans son uniforme, puis il a affiché ses photos sur sa page Facebook. Les enquêteurs lui reprochent d'avoir «utilisé les systèmes électroniques de l'Agence... pour créer et disséminer des textes et des images lubriques».

D'autres rapports évoquent des courriels «inappropriés et de nature sexuelle»: un ASF, par exemple, utilisait son adresse électronique professionnelle pendant qu'il était au travail pour solliciter des «rencontres sexuelles».

Douanier ou contrebandier?

Dans un registre un peu plus grave, de nombreux rapports rappellent le principe dialectique selon lequel, dans certaines circonstances, une chose peut devenir son contraire... et un douanier se transformer en contrebandier. Les enquêteurs ont découvert que certains d'entre eux s'étaient associés à des organisations criminelles pour faire entrer ou sortir de la drogue aux frontières. Untel a pris goût à la marchandise, en l'occurrence de la cocaïne, tellement qu'il a agressé un collègue pour s'en procurer. Une autre préférait la marijuana et servait de «mule» pour en passer en contrebande.

Un seul douanier est nommé dans ces rapports: Jasbir Grewal, qui travaillait au poste-frontière de Douglas, en Colombie-Britannique, a été accusé d'avoir aidé une organisation criminelle à importer de la cocaïne au Canada et à exporter de la marijuana aux États-Unis. Cet à-côté bonifiait avantageusement son salaire de fonctionnaire: il était payé 50 000$ pour chaque importation.

«La grande majorité des 15 000 employés de l'Agence s'acquittent de leurs tâches de façon professionnelle, a souligné Esme Bailey, porte-parole de l'ASFC, dans un courriel. Malheureusement, aucune organisation n'est à l'abri de l'inconduite d'une très faible minorité d'employés. Cela ne reflète en rien le professionnalisme, le dévouement et l'intégrité du reste de l'effectif. Toute allégation de comportement inapproprié ou illégal est prise très au sérieux et fait l'objet d'une enquête approfondie.»

- Avec la collaboration de William Leclerc