Les circonstances qui ont mené aux émeutes qui secouent Londres s'apparentent à celles qui ont provoqué les troubles dans les banlieues françaises en 2005 et à Montréal-Nord en 2008. Bon nombre de spécialistes de par le monde ont analysé la «recette» de ces soulèvements.

«Une émeute a toujours un élément déclencheur, souvent une action des forces de l'ordre que la population juge injuste», explique Pascale Dufour, professeure de sciences politiques à l'Université de Montréal qui se concentre sur les mouvements sociaux. Tout comme l'émeute qui s'était déclenchée en 2008 à Montréal-Nord après que la police eut abattu Fredy Villanueva, les manifestations violentes de Londres ont commencé après que des policiers eurent tué Mark Duggan, 29 ans.

Selon Mme Dufour, les émeutes débutent souvent dans des quartiers extrêmement défavorisés, comme Tottenham, à Londres. «C'est un quartier où le taux de chômage est très élevé, surtout chez les jeunes», dit-elle.

«Le cocktail inégalités, ségrégation, tension avec la police est malheureusement fréquent dans ce type d'événement», confirme Mohammed Marwan, sociologue au Centre de recherche sur les inégalités sociales de Paris. Ce sont des conditions latentes qui sévissent depuis des années: «Ça ne s'installe pas du jour au lendemain, dit Mme Dufour. Il y a accumulation de tensions.»

Professeur de géographie à l'Université de Durham, en Angleterre, Amin Ash explique que la communauté de Tottenham est marginalisée depuis des années: «Le manque d'emplois est pire depuis les récentes crises économiques. Les jeunes de 16 à 19 ans savent qu'ils ne trouveront jamais d'emploi et qu'ils seront dépendants de l'aide sociale. Dans les dernières années, il y a eu aussi beaucoup de coupes dans les services publics, qui aident surtout les pauvres. Les jeunes sont sortis pour manifester leur rage par rapport à ces conditions, qui sévissent depuis plusieurs années.»

Pourquoi?

M. Ash rappelle que, en 1985, Tottenham avait aussi été le théâtre de manifestations violentes. «Les émeutes touchaient plus les questions raciales et la négligence dont les Noirs faisaient l'objet.» Selon lui, les troubles actuels n'ont pas pour source les tensions raciales. «Je trouve que l'événement ressemble plus à ce qui s'était passé en France en 2005. On a affaire à des bandes de jeunes, blancs ou noirs, qui veulent se faire entendre et qui en ont assez d'être laissés pour compte. Ils protestent contre l'autorité, contre leur statut social et contre les riches.»

«Les motivations sont sûrement multiples et fragmentées. Tout reste à explorer et à expliquer pour éviter de plaquer des interprétations toutes faites», ajoute M. Marwan.

Pourquoi, comme c'est le cas actuellement en Angleterre, des émeutes qui commencent dans un quartier s'étendent-elles ailleurs? «En France aussi, on avait assisté à ce phénomène. Il est impossible de savoir pourquoi les émeutes se déplacent mais on sait que, souvent, les quartiers qui emboîtent le pas sont aussi défavorisés. Les gens se reconnaissent et vivent les mêmes décalages avec les mieux nantis», note Mme Dufour.

Comment tout cela finira-t-il? Difficile à dire, selon Mme Dufour. «La répression policière finit généralement par mettre un terme aux manifestations. Mais ça peut être très long et se transformer en guerre de tranchées. En France, dans certains quartiers, les émeutes avaient duré de cinq à six semaines», dit la professeure. Mme Dufour ajoute que, dans certains cas, les protestataires s'organisent et cessent le vandalisme pour prendre la parole sur la place publique. «Un peu comme à Montréal-Nord, des porte-parole se manifestent et on se rapproche d'un mouvement social. Les négociations peuvent alors commencer.»

Selon M. Ash, les émeutiers de Londres ne sont pas encore organisés et n'ont pas d'intention politique claire. «Mais leur message est politique. Ils disent que les inégalités, c'est assez. Ils ne le disent pas dans un discours politique cohérent, mais ils le sentent», affirme-t-il.