Le quart des agriculteurs québécois de moins de 35 ans sont seuls (célibataires, séparés ou divorcés). Pas facile de trouver une compagne à la campagne: l'isolement et les longues heures de travail rebutent bien des jeunes femmes. L'avenir de l'agriculture est-il en jeu?

«On va se revoir quand il va pleuvoir.» C'est ce que Pascal Benoit, beau jeune homme 28 ans, doit avouer aux filles qu'il rencontre. Son métier? Employé agricole de la région de Saint-Hyacinthe. «Quand tu dis aux demoiselles que tu dois rentrer tôt parce que tu te lèves à 4h le lendemain, au début, elles trouvent ça mignon, témoigne-t-il. Au bout d'un moment, non.»

Pascal Benoit est célibataire, comme le quart des exploitants agricoles québécois de moins de 35 ans, selon Statistique Canada. Les compagnes sont rares à la campagne: on compte six hommes agriculteurs seuls (célibataires, séparés, divorcés ou veufs), tous âges confondus, pour... une agricultrice seule. Solution: séduire une femme urbaine, souvent pleine de préjugés sur le monde agricole.

«Travailler en agriculture, c'est un frein à la rencontre avec les filles, confirme Diane Parent, professeure à la faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation de l'Université Laval. Chez les jeunes agriculteurs célibataires, trois sur quatre attribuent leur célibat à leur métier.»

Pour mieux saisir leurs états d'âme, Mme Parent a interrogé 407 agriculteurs de 35 ans et moins, déjà établis sur une ferme, en 2008. Résultat: 60% des jeunes agriculteurs (célibataires ou en couple) sont à risque d'isolement social. De fait, 15% d'entre eux ont un faible réseau social et «ressentent fortement la solitude», selon l'étude. C'est plus fréquent chez les célibataires. Plus du quart (26%) pensent même que «le fait d'être seul peut un jour les conduire à abandonner l'agriculture».

«J'ai fréquenté des filles qui trouvaient que je n'avais pas assez de standing pour elles», confie un agriculteur dans l'enquête. «Les gens du Plateau-Mont-Royal veulent des fermes cutes avec des moutons et des vaches, mais ils ne veulent pas que ça pue», illustre Pascal Benoit.

Inquiétant pour l'avenir de l'agriculture

En ville, les solos cultivent souvent de vastes réseaux. «Chez les agriculteurs, c'est le contraire: les célibataires sont plus isolés que ceux qui vivent en couple, souligne Mme Parent. Ça m'inquiète, parce que je suis intéressée par l'avenir de l'agriculture. On voit que certains sont à fort risque de décrochage à cause de ça, alors qu'on n'a pas assez de relève pour garder nos fermes.»

Frédéric Marcoux, président de la Fédération de la relève agricole du Québec, s'en soucie aussi. «Je ne dirais pas que le problème du célibat est plus grand dans le monde agricole que dans le restant de la société, indique-t-il. Mais son impact est différent. À la ferme, le 5 à 7 du jeudi soir, il se passe bien souvent seul, si on est célibataire.» Pas facile d'aller prendre un verre entre copains - comme si on sortait du bureau - pile à l'heure de la traite.

Les jeunes agriculteurs travaillent 64 heures par semaine, en moyenne. Pascal Benoit bosse «sept jours sur sept depuis 10 ans», avance-t-il, comme employé dans deux fermes, en plus d'être pompier. «À 17 ans, j'ai commencé à traire des vaches, j'ai ça dans le sang», explique-t-il.

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Pascal Benoit

Dur aussi pour les fermiers plus âgés

«C'est un mode de vie, l'agriculture, fait valoir Maria Labrecque-Duchesneau, directrice générale de l'organisme Au coeur des familles agricoles. Il faut accepter que c'est du travail sept jours sur sept, peu de congés, peu de vacances, un petit salaire parce qu'on transmet l'entreprise de génération en génération. Donc oui, c'est difficile de trouver une blonde, et c'est difficile de la garder.»

Même les plus âgés souffrent de solitude: 15% des exploitants agricoles de 35 ans et plus sont célibataires, séparés, divorcés ou veufs, au Québec. «C'est difficile pour les hommes dont la dame a fait sa valise, fait remarquer Mme Labrecque-Duchesneau. Combien de fois les gens m'ont dit: La maison est grande... L'agriculture, c'est travailler solitairement. On n'est pas dix sur le tracteur, on est juste un.»

On n'arrête pas le progrès: certains tracteurs sont, en fait, équipés d'un second siège. Reste à trouver la passagère qui veut y monter. «Au bout du champ, on peut se faire des mamours», plaide Pascal Benoit. Ses rêves? Avoir sa propre fermette... et trouver une fille «qui accepte mon rythme de vie», dit-il.

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Le célibat des agriculteurs du Québec

Chez les moins de 35 ans : 26 % sont seuls

Chez les 35 ans et plus : 15 % sont seuls

Parmi les 45 470 exploitants agricoles de tous les âges au Québec, il y a 6325 hommes seuls et 1060 femmes seules.

Note : Taux d'exploitants agricoles québécois célibataires, séparés, divorcés ou veufs, excluant ceux qui sont mariés ou en union libre, calculs faits par La Presse à partir des données de Statistique Canada, 2006.

Les jeunes agriculteurs du Québec pensent que...

Être agriculteur est un obstacle pour se trouver un-e conjoint-e : 95 % sont d'accord.

Leur conjoint doit s'intéresser à l'agriculture : 80,4 % sont d'accord.

L'entreprise agricole est un projet de couple : 50 % sont d'accord.

Le métier d'agriculteur est mal perçu : 63 % sont d'accord.

Source : Analyse de l'isolement social, de la sociabilité et de la qualité du soutien social chez les jeunes agriculteurs québécois, Diane Parent, Jean-Philippe Perrier et Guillaume Rousseau, Université Laval, 2010.

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L'amour sera-t-il dans le pré?

Cinq agriculteurs célibataires de chez nous pourront bientôt chercher l'âme soeur grâce à la... téléréalité. L'amour est dans le pré, qui sera diffusée à V à partir de janvier, permettra à de potentielles conjointes d'aller partager leur quotidien à la ferme. Des voyages «vers une destination magique le temps d'un week-end» sont aussi prévus, selon le site internet de l'émission. L'amour est dans le pré est une téléréalité agricole diffusée dans plus de 20 pays. Cet été, l'émission a été la plus regardée de la télévision française, pour la deuxième année consécutive, selon le quotidien L'Humanité. Au Québec, L'amour est dans le pré est produite par La Presse Télé.

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Maria Labrecque-Duchesneau