L'Agence métropolitaine de transport (AMT) projette de faire passer 12 millions de passagers par année dans le tunnel du mont Royal, sur trois lignes de trains de banlieue, avec des locomotives remplies de carburant inflammable. Or, ce tunnel vieux de 100 ans et long de 4,8 kilomètres ne respecte pas les normes de sécurité les plus élémentaires contre les incendies, selon un rapport obtenu par La Presse.

«Par l'absence d'un système de protection contre les incendies, des systèmes de ventilation et des routes d'évacuation, le présent tunnel ne correspond pas aux exigences (de la norme) NFPA-130», indique le rapport commandé par l'AMT à la firme d'experts Hatch Mott MacDonald. Cette norme a été établie par la National Fire Protection Association (NFPA) et est en vigueur partout en Amérique du Nord.

Chaque jour de la semaine, 48 trains électriques transportant 30 000 passagers roulent actuellement dans le tunnel pour joindre Deux-Montagnes et la gare Centrale de Montréal. Il s'agit de la seule ligne électrique dans le réseau de trains de banlieue. Les trains ne peuvent pas rouler au diesel dans le tunnel du mont Royal, car il n'est pas pourvu de système pour évacuer les gaz d'échappement.

L'AMT veut y faire passer aussi le futur train de l'Est, reliant Mascouche à Montréal, et le train de Blainville/Saint-Jérôme. Or, ces deux lignes ne sont pas électrifiées. Le gouvernement Charest a donc commandé des locomotives bimode, au coût de 306 millions de dollars. Elles rouleront au diesel sur l'ensemble de leur parcours, mais passeront à l'électricité dans le tunnel.

Chaque locomotive aura quatre réservoirs pouvant contenir 1700 litres de diesel chacun, pour un total de 6800 litres. Ils seront protégés par une double paroi, mais un incendie dans le Tunnel du Mont Blanc, en 1999, a montré que les tunnels agissent comme des hauts fourneaux. En cas d'incendie, la température peut y dépasser les 1000 degrés Celsius, alors que 900 degrés Celsius suffisent à faire fondre le fer.

Le rapport de Hatch Mott MacDonald a été remis à l'AMT en 2007. Quatre ans plus tard, le tunnel du mont Royal n'a toujours ni système de protection contre les incendies, ni ventilation mécanique pour extraire la fumée, ni sorties de secours. On n'y trouve aucun système de gicleurs automatiques. En hiver, une conduite d'eau alimentant les gicleurs gèlerait, car le tunnel n'est pas chauffé.

Les incendies sont loin d'être impossibles dans ce tunnel construit en 1916, selon les normes en vigueur à l'époque. En 1946, quatre travailleurs sont morts et six autres ont été blessés dans le tunnel du mont Royal, brûlés vifs ou étouffés par la fumée se dégageant de voitures-lits vides qui avaient pris feu pour une raison inconnue.

En l'absence de conduites d'eau dans le tunnel, les pompiers avaient dû dérouler leurs tuyaux d'incendie depuis la gare Centrale sur des centaines de mètres pour atteindre les wagons. La fumée leur obstruait la vue, relate un document du Centre national de recherche du Canada. L'absence de porte de secours avait obligé les cheminots à se réfugier dans un trou ou à fuir sur la voie. Leurs corps ont été retrouvés sur le ballast. Il avait fallu 10 heures pour éteindre le feu, qui était pourtant mineur.

Normes de protection

En 1975, la National Fire Protection Association (NFPA) des États-Unis a créé un comité technique pour établir les normes de protection contre les incendies pour les trains de passagers et les métros. Ces normes, qui portent le nom de NFPA-130, sont révisées tous les deux ans, avec la participation d'experts canadiens. Deux représentants de la Société de transport de Montréal ont participé au comité qui a mis à jour les dernières normes.

«Une des premières préoccupations du comité portait sur le risque qu'un grand nombre de personnes qui utilisent les transports en commun (ferroviaires) soient prises au piège et blessées», indique le dernier document de révision du NFPA-130.

C'est exactement ce qui pourrait survenir dans le tunnel du mont Royal. L'AMT compte ajouter 21 000 voyageurs aux 30 000 passagers de la ligne de Deux-Montagnes qui l'empruntent chaque jour de la semaine. Il s'agira des clients du futur train de l'Est, puis, éventuellement, de celui de Blainville/Saint-Jérôme, qui serait dévié sur cette voie pour réduire son temps de parcours. L'achalandage grimperait alors à plus de 12 millions de passagers par année.

Un ex-professionnel de l'AMT a dit à La Presse qu'il osait à peine imaginer les conséquences d'un incendie impliquant une locomotive remplie de diesel dans ce tunnel, avec 1000 personnes dans les wagons.

«Le tunnel ne comporte pas de systèmes mécaniques tels que ventilation, pompes de drainage, protection contre les incendies, systèmes de tuyauterie, etc.», souligne à deux reprises le rapport de Hatch Mott Macdonald.

«Un tunnel vertical pour le puits d'aération en pierre mesurant deux tiers de la longueur du tunnel à partir de la gare Centrale connecte une caverne adjacente au tunnel au niveau du sol, poursuit le document. La caverne a trois ouvertures de mur dans le tunnel. Le puits d'aération fournit une ventilation naturelle et une évacuation de la pression d'air causée par le mouvement des trains».

Ce puits d'aération vertical, bloqué par des grilles, ne permet aucune évacuation des passagers. Il pourrait même agir comme une cheminée, en provoquant un appel d'air en cas d'incendie, ce qui attiserait les flammes, au niveau des voies. La norme NFPA-130 est catégorique sur la nécessité de sorties de secours et sur un système de ventilation mécanique, capable d'extraire la fumée (voir notre encadré).

«C'est un dossier préoccupant, signale Philippe Roy, le maire de Mont-Royal, où aboutit le tunnel. Ma prédécesseure, la mairesse Vera Danyluk, avait essayé sans succès d'obtenir des réponses à ce sujet. On demande à l'AMT de faire rapidement le point afin de rassurer les usagers du train, pas seulement en fonction du futur train de l'Est, mais aussi en fonction de l'actuel train de la ligne de Deux-Montagnes.»