Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec l'actualité. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec Serge Savard, ancien joueur du Canadien de Montréal et directeur général du club de 1983 à 1995.

1. Pourquoi est-ce important que l'entraîneur du Canadien parle français?

C'est inadmissible que l'entraîneur ne parle pas français. Ce n'est pas nécessaire qu'il soit francophone ou canadien-français, mais il doit avoir une compréhension du français. Lorsque j'étais directeur général, je n'aurais pas engagé un francophone qui ne parle pas anglais par respect pour la minorité anglophone. L'entraîneur du Canadien doit donner une conférence de presse chaque jour, il est plus médiatisé que le premier ministre. Je comprends que la situation actuelle soit temporaire, mais on aurait pu mieux planifier. On savait déjà il y a un an que Cunneyworth représentait la relève, il aurait fallu lui donner des cours de français dès ce moment. Aujourd'hui, je sympathise avec lui, de le voir pris dans cet engrenage. Et puis, on aurait dû être sensible au contexte montréalais, avec l'histoire des dirigeants unilingues anglophones de la Caisse de dépôt et de la Banque Nationale.

2. Est-ce que les gens en poste sont insensibles à l'actualité et vivent dans une tour d'ivoire?

À l'époque où on m'a congédié, en 1995, nous vivions dans un contexte de compétition. Aujourd'hui, le Canadien est un monopole. Quand j'étais là, les Nordiques avaient le drapeau du Québec, le fleurdelisé, sur la poitrine. On avait une peur noire qu'ils deviennent l'équipe du Québec et on a pris les moyens, à ce moment-là, pour que le Canadien devienne l'équipe du Québec. En 1993, quand on a gagné la Coupe Stanley, il y avait une douzaine de francophones dans l'équipe. Ce n'est pas un tour de force que de miser sur les talents locaux. Actuellement, c'est un dénommé Claude Giroux qui est premier compteur dans la Ligue nationale. Le Canadien l'a vu passer, il aurait pu le prendre.

3. Diriez-vous que l'image du club a changé depuis votre départ en 1995?

L'équipe n'a jamais été aussi populaire. Il y a 5000 sièges de plus qu'au Forum, c'est plein à chaque match et on dit qu'il y a une liste d'attente de 10 ans pour les abonnements. Je n'ai jamais vu autant de drapeaux sur les autos. Je me rappelle que, dans les années 70, on a gagné quatre fois d'affilée la Coupe Stanley. On commençait les premières séries éliminatoires et il y avait 2500 sièges vides dans le Forum. Le hockey est plus populaire aujourd'hui à cause des médias. À l'époque où j'étais joueur, il y avait cinq journalistes qui voyageaient avec nous et qui assistaient aux pratiques. La radio et la télévision se sont ajoutées plus tard. Aujourd'hui, il y a une centaine de personnes aux pratiques du Canadien. Tout ça pour dire que c'est devenu un monopole et que, lorsqu'on devient un monopole, on est porté à s'endormir davantage que lorsqu'il y a de la compétition.

4. On a vu les fans et les médias réagir fortement depuis la nomination de Cunneyworth. Quand on est à l'intérieur de l'organisation du Canadien, est-ce qu'on est sensible à ce genre de pression? Est-ce que ça peut influencer nos décisions?

C'est une crise et on est sensible à ça. On ne peut pas être insensible à la critique. Moi, j'ai toujours pris les décisions que je croyais être les meilleures pour le Canadien. Ensuite, c'était à mon patron de juger si c'étaient les bonnes. Je vais vous retourner la question: pensez-vous que Stephen Harper et Jean Charest sont conscients de la critique? Je crois qu'ils ont tout ça sur leur bureau le matin. Ils ne peuvent pas faire autrement que de voir ce qui se passe. Est-ce qu'ils prennent la décision souhaitée par le peuple? Pas tout le temps. Ils prennent la décision qu'ils croient être la meilleure pour leur province ou leur pays.

5. Quel est le problème principal du Canadien à votre avis?

Dans le sport, il n'y a qu'une seule réponse: la victoire. Ça règle bien des problèmes. Si Cunneyworth avait gagné ses trois premiers matchs, on n'en parlerait moins qu'on en parle aujourd'hui. Cela dit, je ne vois pas les choses comme ça. Les victoires ne changent pas le problème, ça ne changera pas le mal de place. Le problème, ce ne sont pas les deux jeunes Molson. Ce sont des p'tits gars que j'aime beaucoup. Ce sont des Québécois qui parlent aussi bien français que vous et moi. Mais ça ne fait pas longtemps qu'ils sont là. Ce que je reproche au Canadien, c'est que depuis 1995, le club s'est complètement éloigné du Québec, de la Ligue de hockey junior majeur, des talents locaux. Je reprends l'exemple de Giroux. Le Canadien l'a vu passer devant lui, il n'était pas caché, mais il l'a laissé passer. Or, c'était le premier compteur de la Ligue de hockey junior majeur du Québec.

6. Selon vous, est-ce que le Canadien a la responsabilité de faire progresser le hockey au Québec?

Il le fait par l'entremise de sa fondation, il a bâti trois ou quatre arénas pour encourager le hockey au Québec. Le Canadien, c'est gros. Son logo est le plus médiatisé et le plus connu au Québec et peut-être même au Canada. Il a un rôle social à jouer. Je ne blâme pas les propriétaires actuels, ils viennent d'arriver, mais on a détruit l'avantage que nous avions quand j'y étais. Quand j'étais directeur général, il y avait quatre recruteurs à temps plein. Après 1995, il y en avait un à temps partiel.

7. Que fait-on pour redresser une équipe qui sombre?

Les données sont différentes de celles de mon temps, le club doit travailler avec un plafond salarial et c'est un marché d'agents libres. Cela dit, quand je suis arrivé à la direction, en 1983, le club ressemblait à ce qu'il est aujourd'hui. Il y avait peu de talent local. On a décidé de travailler à partir de la base. Quand on a gagné la Coupe Stanley en 1993, il y avait une dizaine de joueurs qui venaient de la Ligue de hockey junior majeur du Québec. Si on regarde les grandes puissances dans la ligue comme Pittsburgh et Chicago, c'est ce qu'ils ont fait en allant chercher Mario Lemieux et Sidney Crosby.

8. Est-ce que le hockey vous manque?

(Hésitations) Non, quand je suis parti, je suis passé à autre chose. Je ne me suis pas assis chez moi en étant nostalgique. Même chose quand j'ai arrêté de jouer. J'ai passé des années formidables comme joueur et comme directeur général. Maintenant, dire que ça me manque...

9. Mon collègue François Gagnon a écrit que M. Molson devrait vous embaucher comme conseiller et que ce serait à vous de nommer le prochain directeur général. Qu'en dites-vous?

Ça, c'est l'opinion d'un journaliste (rires). Depuis le début, on fait beaucoup de spéculation à mon égard. J'ai toujours dit que je n'étais pas à la recherche d'un emploi. On a formé un groupe il y a quelques années et on a essayé d'acheter le Canadien. Je disais à l'époque que je n'étais pas là pour m'acheter un job, je n'étais pas là pour devenir président ou directeur général.

10. Si M. Molson vous appelle demain matin pour vous offrir le poste de conseiller, que dites-vous?

Je ne sais pas quoi vous répondre. Je ne suis pas à la recherche d'un emploi. Chaque fois que j'ai fait une intervention, je n'ai jamais dit du mal des Molson. Ce sont deux jeunes hommes talentueux et je suis convaincu qu'ils vont redresser la situation.

Dans l'esprit des Fêtes, quel serait votre voeu pour le Canadien? Il a besoin de victoires pour panser ses plaies.

Question TWITTER +1 (par Serge Landry, @SlyTigger sur Twitter): Dans l'esprit des Fêtes, quel serait votre voeu pour le Canadien?

Il a besoin de victoires pour panser ses plaies.

La chronique de Nathalie Collard fait relâche la semaine prochaine.