Lorsque les paralumes se sont effondrés dans le tunnel Viger, le 31 juillet dernier, un conseiller politique du ministre des Transports Sam Hamad a téléphoné de façon confidentielle dans des salles de rédaction pour mettre en cause l'entrepreneur Laco Construction.

Dès le lendemain, le 1er août, une chaîne de télévision a annoncé cette «exclusivité»: «On vous révèle la cause probable de l'effondrement dans le tunnel Ville-Marie [en fait, le tunnel Viger de l'autoroute Ville-Marie]: qui est Laco Construction? L'entreprise chargée d'exécuter les travaux dans le tunnel Ville-Marie a plusieurs taches à son dossier.» Le reportage a suivi.

Or, le rapport d'experts divulgué vendredi par Pierre Moreau, successeur de M. Hamad aux Transports, blanchit l'entrepreneur. Il blâme plutôt les ingénieurs du consortium Cima+/Dessau/SNC-Lavalin. Ce sont eux qui ont donné des instructions fautives. Des instructions qui auraient pu entraîner des morts si des voitures avaient roulé sous les paralumes et les poutres au moment de l'accident, en ce dimanche matin d'été.

Les paralumes avaient pour fonction d'atténuer la lumière du jour pouvant éblouir les conducteurs à l'entrée du tunnel Viger. Ils s'appuyaient sur des poutres, pesant chacune plus de 30 tonnes. À leur tour, les poutres reposaient sur les murs du tunnel. Les assises des poutres étaient très étroites.

L'année dernière, le MTQ a décidé de rénover les murs du tunnel. Il s'agissait de travaux d'hydrodémolition. Des ouvriers décapaient les parois à l'aide de jets d'eau sous pression. Dans un deuxième temps, ils devaient appliquer une nouvelle couche de béton.

Les ingénieurs ne se sont pas assurés que les assises, une fois rétrécies par les jets d'eau, seraient assez solides pour continuer de soutenir les poutres. Ils se sont simplement basés sur les plans originaux, dessinés par la firme Lavalin en 1970.

Or, ces plans n'avaient pas été suivis à la lettre lors de la construction du tunnel. Les appuis en néoprène de la poutre qui est tombée se trouvaient à 26 millimètres du bord du mur, plutôt qu'à 50 millimètres. De surcroît, l'armature d'acier du mur de soutènement ne se rendait pas jusqu'aux assises.

Les ingénieurs qui ont dessiné les plans et devis en 2011 pour rénover les murs du tunnel auraient dû «vérifier minimalement le positionnement des armatures supérieures et des appareils d'appui avant les travaux [d'hydrodémolition], ou étayer les poutres pendant les travaux», écrivent les auteurs du rapport, Jean-Philippe Charron, de l'École polytechnique de Montréal, et Marie-José Nollet, de l'École de technologie supérieure.

Les ingénieurs n'ont pas eu cette prudence. Pourquoi? Aucune des trois firmes impliquées n'a voulu répondre à nos questions.

François Plourde, de Cima+, Katia Reyburn, de Dessau, et Leslie Quinton, de SNC-Lavalin, ont chacun indiqué qu'ils ne pouvaient faire de commentaire, étant donné que le MTQ a décidé de poursuivre le consortium devant les tribunaux.

Selon nos informations, les tâches étaient divisées au sein du consortium: Dessau s'occupait de la circulation routière pendant les travaux, Cima+ surveillait les travaux et SNC-Lavalin dessinait les plans. C'est le sceau des ingénieurs de SNC-Lavalin qui figure sur les plans, obtenus par La Presse. Rien n'indique que les plans aient été lus et approuvés par des ingénieurs du MTQ: tout était confié au privé.

Le président de Laco Construction, Luc La Haye, s'est montré soulagé, vendredi, par les conclusions du rapport d'experts. «C'était facile de s'en prendre à nous, a-t-il dit au cours d'un entretien. On était un petit acteur dans cette histoire. On savait que le ministère [des Transports] voulait laisser entendre qu'on était responsables de l'accident, mais on ne l'était pas. C'est très clair quand on examine les plans des ingénieurs.»