Rejetés par leur communauté, les Noirs homosexuels cherchent leur place en dehors du placard...

Montréal a peut-être la réputation d'être une ville sexuellement ouverte. Mais ce n'est pas l'impression qu'a eue Luzi Altis à son arrivée.

À la fois lesbienne et Antillaise, Luzi pensait trouver ici un havre de tolérance pour les Noirs homosexuels. À son grand étonnement, elle a trouvé tout le contraire. «J'ai vu beaucoup de détresse et de gens rejetés par leur famille, par leur église, raconte-t-elle. J'arrivais d'Europe où je n'avais jamais vu ça. J'ai trouvé ça ahurissant. Surtout dans une province où le mariage gai est permis.»

Six ans plus tard, Luzi ne comprend toujours pas. Elle se demande pourquoi Montréal ne compte aucune boîte de nuit pour les Noirs LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres) et trouve que le milieu black montréalais entretient encore beaucoup trop de préjugés à l'endroit des sexualités alternatives.

Voilà pourquoi elle a accepté de témoigner dans le documentaire Être soi-même, qui sera présenté lundi en ouverture du 4e festival Massimadi, consacré au cinéma gai afro-caribéen.

En racontant son histoire, Luzi espère qu'elle pourra convaincre des jeunes comme elle que leur orientation n'est pas un crime et qu'il y a moyen de s'épanouir au delà du rejet. «Ce n'est qu'un film, mais peut-être que ça peut aider à faire la différence, dit celle qui dirige aujourd'hui Garçon Manqué, une boutique en ligne de butch apparel (vêtements pour lesbiennes). Il faut montrer aux jeunes qu'on peut être noir et gai sans être malheureux pour le reste de sa vie.»

Ça ne va pas de soi

Massimadi, c'est la contraction des mots Massissi et Madivine, qui signifient respectivement gai et lesbienne en créole. C'est aussi l'activité la plus connue de l'organisme montréalais Arc en ciel d'Afrique, qui existe depuis 2004 et dont la mission est d'aider les Noirs LGBT dans leur démarche d'acceptation.

Il faut savoir que l'homosexualité est encore plus taboue chez les Blacks que chez les Blancs. Dans la plupart des pays afro-caribéens, la «chose» est considérée au mieux comme une tare, au pire comme un crime passible de châtiment - que l'on pense à la Jamaïque ou au Nigeria, deux nations notoirement homophobes. «Il y a dans notre culture un déni complet de cette réalité, confirme Alexis Musanganya, Rwandais d'origine et fondateur d'Arc en ciel d'Afrique. D'ailleurs, les rares fois où on en parle, c'est pour dire que c'est une maladie de Blancs!»

On pourrait croire que cette «maladie de Blancs» serait mieux acceptée dans une grande ville nord-américaine. Mais ce n'est pas le cas. À Montréal, la communauté afro-caribéenne est encore très conservatrice. Craignant de perdre leur seul soutien (la famille, les églises), beaucoup d'immigrants noirs, venus pour vivre leur «différence», finissent par renoncer à leur coming out.

«C'est la peur du rejet», résume simplement Alexis, estimant qu'à Montréal, 90% des gais africains ou antillais ne sont toujours pas sortis du placard. De ce nombre, certains choisissent l'option down-low, qui consiste à cacher son orientation derrière une façade hétéro, voire carrément homophobe.

Ceux qui s'affichent sont de plus en plus nombreux, observe toutefois Alexis. À en juger: Arc en ciel d'Afrique est passé de 320 à 500 membres en un an. Mais en dehors du cercle, mieux vaut rester discret.

Luzi, par exemple, a pris l'habitude d'éviter les fêtes antillaises, où les esprits peuvent parfois s'échauffer. «Quand je suis avec une femme, il y a des places où je ne vais pas, dit-elle, en évoquant les soirées zouk ou les festivals jamaïcains. Si j'y vais, j'essaie de rester discrète.»

Pour la jeune femme, comme pour les autres, la meilleure option reste encore les soirées privées, organisées dans un secret quasi militaire. Il faut alors montrer patte blanche ou être invité par quelqu'un de confiance.

Et les bars gais ordinaires? Ils restent assez fermés, constate Luzi. «De ce côté, ça ne va pas de soi. Ils ont leur clientèle. Il faut s'imposer.»

Tant qu'il y aura des films...

Un festival de cinéma peut-il faire avancer la cause? C'est déjà mieux que rien, affirme Alexis Musanganya. Son existence est en soi la preuve que l'homosexualité n'est pas qu'une «maladie de Blancs». D'ailleurs, dit-il, les films afro-gais sont plus nombreux qu'on le pense. Il y en aura tant et aussi longtemps que le problème de l'homophobie ne sera pas réglé dans les communautés noires.

Reste à voir si l'événement pourra survivre à son sous-financement chronique. Ignoré par la Ville et le ministère de la Culture et de l'Immigration, qui se renvoient continuellement la balle, Massimadi ne vit que grâce à la contribution de ses membres.

Seule consolation, le film Être soi-même a reçu 2000$ du Conseil canadien pour les réfugiés. Autant dire des «pinottes». Cela n'a pas empêché son réalisateur, Laurent Maurice Lafontant, de passer son message.

«Le but était de montrer des modèles de réussite, conclut le cinéaste d'origine haïtienne. C'est pourquoi j'ai surtout insisté sur l'après-coming out de mes personnages. Je veux que les jeunes voient qu'on peut passer à travers. Je veux qu'ils viennent me voir après la projection et qu'ils me disent que ce film leur a donné de l'espoir.»

Massimadi, du 6 au 12 février. Informations et programmation: https://arcencieldafrique.org/massimadi/ Être soi-même est présenté lundi le 6 février à 19h à la Cinémathèque.