Autre pays, autres moeurs. Deux truqueurs d'appels d'offres internationaux qui aidaient des firmes étrangères, dont une canadienne, à obtenir frauduleusement de lucratifs contrats d'ingénierie dans le monde viennent d'être condamnés à trois et cinq ans de prison à Londres. Ils ne pourront plus diriger une société pendant 10 ans.

Deux de leurs complices passeront aussi un et trois ans et demi derrière les barreaux.

Cette lourde condamnation est le fruit d'une vaste enquête anticorruption lancée à l'hiver 2008 par le Service de répression des fraudes (Serious Fraud Office ou SFO) de Londres et la Metropolitan Police.

Des moyens impressionnants

Cette enquête a été rondement menée puisque les accusations ont été déposées en septembre 2010.

Les moyens déployés par le SFO et ces peines de prison sévères font rêver Jacques Duchesneau, ex-patron de l'Unité anticollusion. «Ils frappent fort et ce genre de sanction a un effet dissuasif important, dit-il. C'est ce dont le Québec a besoin plutôt que de notre «UPAC pas de dents».»

Les dirigeants de la firme Strategic Project Services, Andrew Rybak et Philip Hammond, ont fourni à leurs clients des informations confidentielles qui devaient leur permettre d'empocher des contrats d'envergure.

Un des dossiers qui ont été l'objet de l'enquête concernait un contrat de 35 millions US à Singapour. Rybak et Hammond auraient remis aux firmes canadienne Ecodyne et française Ondeo une copie du dossier de soumission d'un concurrent, en échange d'une commission de 2,5%.

C'est une firme américaine qui a refusé de participer à la manoeuvre qui a prévenu les autorités.

Les enquêteurs ont notamment eu recours à des interceptions électroniques pour bâtir leur preuve et percer les stratagèmes des suspects. D'autant plus que ces derniers agissaient sous de fausses identités pour faire affaire avec leurs clients.

Spectaculaire rayon d'enquête

Le rayon d'enquête était spectaculaire puisque la fraude concernait des contrats d'envergure accordés en Iran, en Russie, en Égypte, à Singapour et à Abou Dhabi.

Sur son site internet, le SFO indique qu'elle dispose de forts moyens coercitifs et qu'il offre sa collaboration à tous les procureurs et magistrats étrangers pour «l'obtention d'éléments de preuve au Royaume-Uni».

Ses 300 employés ont pour mission d'enquêter et de traduire les accusés devant les tribunaux.

Jacques Duchesneau rappelle qu'en France, une filiale du géant Colas-Bouygues (Sintra au Québec) a été condamnée en 2010 à près de 25 millions de dollars d'amende pour son implication dans un cartel de la signalisation routière. Au Québec, la brigade Marteau de la Sûreté du Québec s'appuie sur plusieurs articles du Code criminel qui répriment entre autres les fraudes envers le gouvernement, les abus de confiance et la corruption dans les affaires municipales (art. 118 à 122).

Le bureau de la concurrence du Canada enquête sur les cartels. Les condamnations sont rares et faibles dans le secteur de la construction. En 2000, cinq entrepreneurs ont été condamnés à une amende totale de 1 million pour s'être partagé les contrats de déneigement dans la région de Montréal. Dans son rapport rendu public à l'automne, Jacques Duchesneau a dénoncé l'existence d'un cartel de l'éclairage routier. «Un unique fournisseur contrôle la majeure partie du marché des luminaires, alors que deux fabricants et distributeurs de hauts mâts et lampadaires se partagent, quant à eux, la quasi-totalité de ces ventes», lit-on dans le document.

En 2011, son homologue au Royaume-Uni a imposé pour 223 millions de dollars d'amendes à 103 firmes de construction coupables de collusion.