Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont elle a été l'objet. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec Justin Trudeau, député de Papineau, qui s'est retrouvé au centre d'une controverse après avoir déclaré qu'il songerait à vouloir faire du Québec un pays si le Canada de Stephen Harper continuait à renier ses valeurs.

1 Votre déclaration a donné lieu à toutes sortes d'interprétations cette semaine. Que vouliez-vous dire précisément?

Je crains que les gens ne réalisent pas à quel point le ton et les valeurs sous-jacentes du gouvernement Harper posent problème. Ce gouvernement ne semble pas vouloir gouverner pour tous les Canadiens, y compris ceux qui ne sont pas d'accord avec lui. Il gouverne seulement pour ceux qui l'ont élu. J'ai donc dit que je comprenais que les Québécois ne se reconnaissent pas dans ce gouvernement, tout comme, par ailleurs, il y a des Canadiens de la Colombie-Britannique, de l'Alberta et de l'Ontario qui ne se reconnaissent pas. Je suis conscient qu'on va utiliser cette déclaration dans des publicités négatives pour les 10 ou 20 prochaines années de ma carrière, mais je sais aussi que la majorité des Canadiens ont très bien compris ce que je voulais dire.

2 Croyez-vous qu'on a profité de cette controverse pour casser du sucre sur le dos du Québec?

J'ai sûrement moins choqué de gens au Québec qu'ailleurs, mais de toute façon, il y aura toujours des gens qui vont trouver une raison pour diviser et insulter. Cela ne représente toutefois pas la majorité des Canadiens.

3 Que nous dit cette controverse sur le climat politique actuel?

Nous sommes dans un climat qui encourage activement le cynisme. Le gouvernement Harper travaille à motiver sa base en adoptant des positions extrêmes, démotivant par le fait même les jeunes et les idéalistes qui finissent par se dire: à quoi bon? Ça fait du mal aux partis modérés qui passent moins bien dans un contexte politique polarisé. Le défi des prochaines années sera de mobiliser les millions de Canadiens qui ne s'impliquent pas.

4 Votre parti est en reconstruction. En plus de s'ouvrir sur l'extérieur pour nommer le nouveau chef, que peut-il faire pour redevenir pertinent?

Il faut s'ouvrir à la conversation, donner la chance aux gens de se faire entendre, que ce soit par l'entremise des médias sociaux, de l'internet ou sur le terrain. Il faut qu'on puisse discuter des défis et des solutions ensemble afin que les gens qu'on a réussi à mobiliser s'impliquent au-delà de l'élection.

5 Votre parti a perdu ses racines au Québec. Que pouvez-vous faire pour rétablir le lien avec les Québécois?

Il y a eu un élan aux dernières élections, les Québécois ont choisi de participer à la gouvernance du Canada, mais ils ont aussi fait un choix émotif en votant pour Jack Layton. Qu'arrivera-t-il en 2015? Est-ce que le NPD aura fonctionné au point où ils revoteront pour lui, ou est-ce que le Bloc remontera? Ou choisiront-ils le Parti libéral, un parti aux valeurs québécoises et canadiennes, qui comprend et qui a besoin du Québec pour donner une voix au Canada en entier? Il nous faudra donc être très présents sur le terrain, être proches des gens, aller là où ils sont: au festival western de Saint-Tite, au carnaval de Québec ou, l'été, aux Îles-de-la-Madeleine.

6 Quelle pertinence le Parti libéral du Canada a-t-il dans un climat politique polarisé entre la droite et la gauche?

Notre parti comprend que, pour bien fonctionner, le Canada a besoin d'aider ses citoyens à prospérer tout en protégeant ses plus faibles avec des programmes sociaux. L'un ne va pas sans l'autre. Entre les positions des conservateurs et celles du NPD, il y a un juste milieu. Un parti au centre comme le nôtre offre une vision équilibrée des choses.

7 Cela fait maintenant plusieurs années que vous travaillez en politique, mais on vous demande encore de vous définir par rapport à votre père. Est-ce lourd à porter?

Je suis extrêmement fier de mon père, de ses valeurs et de sa vision pour le pays. Je lui dois mon ouverture d'esprit et ma curiosité intellectuelle. Mais je suis aussi très fier d'avoir réussi en tant que politicien dans une circonscription qui comprend le quartier Parc-Extension, composé d'immigrés qui sont arrivés durant les années 80 et qui n'avaient aucun lien avec mon père. Je suis allé les chercher et c'est moi qui ai fait ça. Même chose avec les jeunes avec qui j'ai tissé des liens très forts. Ma capacité de rassembler les gens est quelque chose qui m'appartient, ce n'est pas mon père.

8 Pourquoi ne pas vous présenter à la direction du Parti libéral du Canada?

Je sais mieux que quiconque le prix à payer pour une famille quand on fait de la politique. Mes enfants ont 3 et 4 ans, c'est déjà difficile d'être un simple député, je suis loin d'eux plusieurs jours par semaine. Je ne serai pas un bon leader si je ne sais pas être d'abord un bon papa.

9 Croyez-vous que les politiciens de votre génération, qui sont des pères plus engagés, sont de meilleurs politiciens que ceux de la génération de votre père?

C'est l'histoire qui va décider. Mon père avait deux priorités dans la vie, sa vision pour le pays et ses enfants. Souvent, les gens qui réussissent dans leur domaine sont moins présents pour leurs enfants et c'est une tragédie. Je crois que les plus jeunes cherchent une qualité de vie et cela implique de passer du temps avec les gens qui vous aiment et que vous aimez. Quand on n'a pas ça, on n'a rien. C'est une des prises de conscience les plus importantes pour notre société.

10 Vous vous êtes entraîné pour la boxe durant plusieurs années et, en mars, vous allez participer à un combat contre le sénateur conservateur Patrick Brazeau afin d'amasser des fonds pour une oeuvre de charité. Diriez-vous que la boxe a fait de vous un meilleur politicien?

Que ce soit la boxe, la peinture, la marche en forêt ou le canot, tout individu a besoin de se défouler de manière créative ou physique et sans lien avec son travail. La boxe va bien avec ma personnalité, j'aime le risque et je suis très compétitif.

TWITTER +1 de Vincent Laniel@Vincent_Laniel

Êtes-vous pour ou contre la hausse des droits de scolarité?

Je ne suis pas convaincu que baisser les droits de scolarité pour tout le monde est la meilleure façon de s'assurer que tout le monde ait accès à l'éducation. Ce qui compte pour moi, c'est l'accès aux études postsecondaires sans aucun obstacle économique, et sans l'endettement une fois que les études sont terminées. Cela dit, les contribuables ne peuvent pas tout subventionner. On peut privilégier les bourses, pas nécessairement les prêts. Il faut aussi s'assurer qu'on n'enlève pas d'argent aux enseignants et aux institutions si on veut un enseignement de qualité.