Rangez vos sandales: après la vague de chaleur de la semaine dernière, Environnement Canada prévoit du gel ce matin, partout au Québec. Tôt mardi, le mercure doit plonger jusqu'à -9 degrés Celsius à Montréal. Tout un choc thermique, pour les orteils encore à l'air comme pour les végétaux.

Les 27 000 pommiers de Denis Charbonneau, à Mont-Saint-Grégoire, commencent à virer au vert. «Les bourgeons sont ouverts, a-t-il dit à La Presse. On voit les petites feuilles en dessous. C'est un mois trop tôt: ça se passe normalement dans les derniers jours d'avril.»

Ce printemps hâtif inquiète les agriculteurs, qui craignent les dommages que pourrait causer le gel. «Les températures chaudes connues dans le sud du Québec ont accéléré le développement des plantes, a confirmé Yves Castonguay, physiologiste des stress de l'environnement chez les plantes à Agriculture et Agroalimentaire Canada. Plus elles commencent à pousser, plus leur capacité de tolérer le gel diminue, c'est clair et net. Et les risques sont plus grands pour les arbres fruitiers, parce qu'ils ont des structures florales plus fragiles.»

Paradoxalement, le froid prévu lundi et mardi est salutaire. «Ça va nous soulager un peu, puisque la végétation va arrêter d'avancer, a expliqué M. Charbonneau. Il faut vraiment qu'elle arrête, on n'est qu'en mars! Les bourgeons peuvent endurer une température de -7 degrés sans problème. Mais s'il faisait -10, ça pourrait être inquiétant.»

Deux mois de stress

«On se croise les doigts, a résumé Steve Levasseur, président de la Fédération des producteurs de pommes du Québec. Il y a des risques. Les dommages sont toutefois plus grands quand les pommiers sont en pleines fleurs. Espérons que ce ne sera pas avant quatre semaines.» La province compte 2,6 millions de pommiers, dont la récolte a été évaluée à 39,8 millions de dollars en 2010.

Les viticulteurs sont aussi nerveux. «Pour le moment, ça va, a témoigné dimanche Nicolas Fournier, du domaine Fournier Larabi d'Austin, près de Magog. Mais le stress va être présent pour les deux prochains mois.»

Un gel au sol peut causer bien du tort aux feuilles des vignes, qui pourraient sortir d'ici deux semaines, a estimé M. Fournier. En 2009, une température de -6 degrés en juin a été dévastatrice. «Tous mes jeunes plants ont été détruits», s'est-il souvenu.

De meilleurs rendements dans le foin

D'autres cultures - notamment celle des céréales - sont avantagées par le temps clément. «Si le sol se dégage et qu'il se réchauffe tôt, on peut semer tôt, a fait valoir Jean Caron, professeur à la faculté des sciences de l'agriculture de l'Université Laval. Tous les jours qu'on gagne avant le 24 juin, ce sont des gains nets de rendement à la fin de la saison.»

«Si le beau temps reste, cela nous donnera la chance de faire les travaux aux champs plus tôt, a confirmé Sabrina Caron, productrice de lait, de maïs, de soya et de foin dans le Centre-du-Québec. Peut-être qu'on pourra semer plus tôt et entrevoir de meilleurs rendements, surtout pour le foin.»

Autre avantage, pour les vaches celui-là. «Les animaux iront sûrement dehors deux ou trois semaines à l'avance, au moins», a calculé Frédéric Marcoux, producteur laitier en Beauce.

Il reste que nul n'est garant de l'avenir. «Les producteurs peuvent courir la chance de devancer les semis, mais selon les prévisions climatologiques basées sur le passé, on sait qu'on risque encore du gel, a souligné M. Castonguay. Je pense que la prudence suggère de s'en tenir aux dates suggérées.»

D'autant qu'il n'y a pas grand-chose à faire s'il gèle: on ne peut couvrir 27 000 pommiers. «On est impuissants devant cela, a reconnu M. Charbonneau. On peut juste espérer que la température se stabilise jusqu'à la mi-avril. Après, ce sera moins inquiétant.»

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Valeur de la production végétale du Québec: 2 milliards de dollars

Céréales (maïs-grain, avoine, blé, orge): 519,4 M$

Légumes et pommes de terre: 498,4 M$

Oléagineux et protéagineux (soya, canola, haricots secs): 310,4 M$

Horticulture ornementale: 263,1 M$

Acériculture: 238,9 M$

Fruits: 118,7 M$

Autres cultures végétales: 45,2 M$

Plantes fourragères (foin et trèfle): 44,5 M$

Valeur totale de la production végétale: 2008,3 M$ en 2010

Source: Profil sectoriel de l'industrie bioalimentaire au Québec, édition 2011, MAPAQ.