Abraham Mansaré voudrait bien retrouver sa vie de petit garçon de 8 ans : l'école, les amis... Plutôt que d'aller en classe, mardi matin, l'enfant s'est rendu dans les bureaux de l'Agence des services frontaliers (ASFC), qui doit expulser toute sa famille vers la Guinée d'ici à la fin de la semaine.

«Je voudrais que le ministre du Canada nous laisse une dernière chance de rester. Si on va là-bas, je n'ai pas d'avenir», a dit le garçon aux médias à la sortie de la rencontre avec les autorités canadiennes. Du haut de ses 8 ans, le garçon ne réalise pas tout à fait le drame qui est en train de se jouer dans sa famille, lui qui ne conserve aucun souvenir de son pays natal, qu'il a quitté il y a plus de cinq ans. À peine sorti des bureaux de l'ASFC, Abraham a demandé à sa mère la permission d'aller à l'école, comme si la vie continuait.

Le Canada était l'espoir d'une nouvelle vie pour les Keita Mansaré, mais leur expulsion n'en fera qu'une parenthèse de cinq ans. Fatigués mais incapables de dormir, les six Guinéens vivent depuis le mois de mars une attente insupportable. Le téléphone constamment à la main, la mère, Kankou Keita Mansaré continue d'espérer l'appel du gouvernement qui lui accordera, à elle et à ses cinq enfants, ne serait-ce qu'un sursis. «On est tous fatigués, physiquement et moralement. On ne sait pas comment iront les choses. Mais tant qu'on est ici, on a de l'espoir», souffle-t-elle.

Aucun sursis

Mais l'espoir s'amenuise. Au bureau du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, Jason Kenney, on affirme que le dossier est désormais entre les mains de l'ASFC. Bref, le processus de renvoi est bien entamé et aucun sursis n'est prévu. Le bureau du ministre responsable de l'Agence, Vic Toews, n'a quant à lui pas rappelé La Presse.

Après deux rendez-vous manqués, l'ASFC a annoncé mardi à la famille qu'elle serait renvoyée d'ici à la fin de la semaine. Les Guinéens recevront cet après-midi la date précise et l'itinéraire de leur voyage de retour.

«On mérite de rester ici. On n'a pas de dossier criminel, on n'a rien fait de mal, on s'est bien intégrés. Je ne comprends pas pourquoi ils veulent qu'on quitte le pays. On voudrait qu'ils nous acceptent», dit l'aîné des cinq enfants, Ousmane Mansaré. Le jeune homme de 20 ans n'avait jamais fait de prison avant le mois de mars. Mais quand sa famille ne s'est pas présentée à sa première expulsion, prévue le 11 mars, en raison de l'hospitalisation de la mère, les six Guinéens ont été incarcérés dans un centre de détention de Laval. Libérés depuis, ils doivent vivre à LaSalle chez une amie de la famille qui se porte garante d'eux. «Il n'y a pas assez de place pour tout le monde, mais c'est quand même mieux que d'être en détention», se console Ousmane Mansaré.

La détention de toute la famille a laissé des traces chez Kankou Keita, qui a sombré dans un état dépressif. Constamment fatiguée, elle répond lentement aux questions et se tourne fréquemment vers ses enfants pour trouver ses mots.

La fatigue tenaille également Zenab Mansaré, 17 ans, qui s'est effondrée dimanche soir à l'aéroport, au moment où la famille devait être expulsée. À l'arrivée de La Presse, mardi, dans l'appartement de LaSalle qu'ils occupent depuis deux semaines, l'adolescente, atteinte d'hyperthyroïdie, était couchée sur un matelas dans le salon, incapable de fermer l'oeil. «Je ne dors plus depuis une semaine.» Elle va mieux maintenant, mais elle n'a toujours pas retrouvé le sommeil. La perspective d'être mariée de force, d'être excisée ou de voir sa maladie s'aggraver l'en empêche.