Le caquiste Éric Caire s’excuse d’avoir accusé le maire de Québec, Bruno Marchand, de « polluer l’existence des conducteurs » avec son tramway.

Mais sur le fond, il exprimait impoliment ce que son gouvernement pense : le développement des transports collectifs ne doit pas se faire en nuisant aux automobilistes.

Lisez l’article « Québec accusé d’intimider Marchand, Montréal et l’UMQ à sa défense »

Cela peut sembler raisonnable. Des citoyens n’ont pas encore accès à une ligne de métro ou d’autobus efficace. Particulièrement dans la Capitale-Nationale. Ce n’est pas leur faute. Mieux vaut donc commencer par leur offrir un choix. Par tendre la carotte avant de brandir le bâton.

Dans la réalité, ce n’est pas si simple.

Le territoire est limité. Tous les usagers ne peuvent pas l’utiliser en même temps. Il faut établir des priorités. Et elles se révèlent entre autres dans le choix des mots.

Remarquez qu’on ne dit jamais qu’un gouvernement « punit » les piétons, les cyclistes et les passagers des autobus. Comme si les automobilistes avaient des droits acquis et que les autres devaient se contenter du reste. Comme si ces automobilistes n’étaient pas eux-mêmes parfois des piétons, des cyclistes, des passagers des autobus.

Tout cela devait pourtant changer avec la politique de mobilité durable.

Elle fixe trois priorités, en ordre d’importance.

La première : diminuer de 20 % les déplacements en auto solo et de 40 % la consommation de pétrole en transport.

Une guerre à la voiture ? Plutôt une façon de combattre à la fois la congestion, la pollution, l’inflation et le déficit commercial – l’achat d’essence fait sortir de l’argent du Québec.

La deuxième priorité de la politique est d’inciter les gens à se déplacer davantage en transports collectifs et actifs.

La troisième est d’améliorer l’efficacité énergétique des véhicules, notamment en les électrifiant.

Or, le gouvernement caquiste procède dans l’ordre inverse. Il mise surtout sur l’électrification. Elle n’empêche pas le nombre d’automobiles d’augmenter plus vite que la population, et les véhicules d’être de plus en plus gros.

Demander aux automobilistes de partager davantage la route, ce n’est pas les attaquer. C’est plutôt leur faire céder un peu de leurs privilèges.

Cela dit, le gouvernement caquiste a des critiques valables au sujet du tramway.

Vu de Montréal, on oublie à quel point il est contesté dans la Capitale-Nationale. Les critiques ne viennent pas seulement des automobilistes des banlieues. Un groupe de citoyens déplore le fait que le tracé forcera la coupe d’arbres et le remblaiement de milieux humides. D’autres résidants craignent aussi une hausse de la circulation de transit dans leur quartier.

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a sévèrement critiqué le manque d’acceptabilité sociale du projet.

Le maire Marchand a manqué de transparence. Il n’a pas dévoilé l’étude sur l’impact du tracé – elle a fuité dans les médias. Il n’avait pas non plus révélé à l’avance au gouvernement que le tracé prendrait la forme d’une rue partagée à deux endroits.

Le gouvernement caquiste financera la majeure partie du projet. Il est normal qu’il en dicte certains paramètres. Pour les travaux préparatoires, il avait exigé une mise à jour des coûts qui a révélé des dépassements. Mais en se prononçant sur l’aménagement du boulevard René-Lévesque, il est rendu dans l’urbanisme. Dans les compétences municipales. Cela explique pourquoi la mairesse de Montréal et l’Union des municipalités ont tenu à appuyer M. Marchand sans réserve.

Les caquistes rétorquent que le tramway alourdira la congestion à l’entrée du pont Pierre-Laporte, qui relève de leur compétence et qui excède déjà de 36 000 voitures sa capacité quotidienne.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Bruno Marchand, maire de Québec

Cet effet à long terme est toutefois incertain. Avec le troisième lien, on a beaucoup parlé de la demande induite – plus on construit de routes, plus on incite les gens à utiliser leur voiture, ce qui fait en sorte qu’après quelques années, la congestion revient à son point initial. Mais l’inverse est vrai. En réduisant la capacité routière, on encourage des automobilistes à adopter un autre mode de transport. C’est la demande déduite. Un phénomène déjà mesuré à Portland, Séoul, San Francisco et Lyon, entre autres.

En matière de transport, ce gouvernement aime beaucoup gérer les détails… On l’a vu avec le prolongement de la ligne bleue du métro. En juin dernier, le comité d’experts déposait son rapport. Mais la ministre responsable Chantal Rouleau était insatisfaite. Elle a commandé de nouvelles études sur des aspects techniques comme la taille des quais et des trains ainsi qu’un centre de réparations.

Chaque mois de retard coûte environ 15 millions de dollars. Mais ironiquement, Mme Rouleau disait agir pour contrôler la facture. Peut-être se faisait-elle la messagère de membres du Conseil des ministres qui jugent le métro de Montréal trop cher. Avec le tramway de Québec, on sent que des députés sont aussi inquiets de la montée du Parti conservateur, féroce critique du projet.

François Legault a besoin de l’appui de Québec s’il veut enfin concrétiser un grand projet de transport collectif. Et le maire Marchand va s’ennuyer des députés caquistes de la région si Éric Duhaime y fait élire ses candidats.

Tout ce beau monde devrait apprendre à travailler ensemble, et vite.