C’est un peu, sinon beaucoup trop facile pour le gouvernement caquiste de dire que son plan climat est « clairement » plus ambitieux que celui du fédéral.

Le travail du ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, est plus difficile.

M. Guilbeault se bat contre une partie du Conseil des ministres, comme le prouve le report de la décision sur le projet pétrolier Bay du Nord. Il doit aussi affronter l’opposition conservatrice et les provinces de l’Ouest. Et puisque l’environnement est une compétence partagée, ses outils sont limités. Par exemple, il ne peut pas plafonner la production pétrolière et gazière sans s’exposer à des poursuites.

Son homologue au Québec, Benoit Charette, est dans une situation inverse.

À l’Assemblée nationale, ses opposants l’exhortent à en faire plus. Il essaie donc de faire baisser la pression. Et pour cela, il est prêt à dire beaucoup de choses. Il affirme qu’un troisième lien routier Québec-Lévis réduirait l’étalement urbain, et il promet de le construire, peu importe ce que concluront les études environnementales. Les caquistes critiquent davantage le tramway – ils passent moins de temps à en vanter les bienfaits qu’à en relayer les possibles inconvénients pour les automobilistes.

Au Québec, la principale source d’émissions de gaz à effet de serre (GES), c’est le transport. Au fédéral, c’est le pétrole et le gaz.

Contrairement à M. Guilbeault, M. Charette n’a pas besoin de tenir tête à tout un secteur économique et à un front régional. Sa tâche est plus simple. Les solutions sont connues et elles peuvent se faire sans menace de poursuite et sans obstruction d’un autre ordre de gouvernement. Elles ont un défaut : déplaire.

Cela dit, on ne peut pas dire que M. Guilbeault est le bon élève et que M. Charette est le cancre.

Le plan du Québec a deux mérites : il est clair et franc. Pour chaque mesure, le coût et la réduction de GES sont chiffrés. Ce n’est pas le cas du plan fédéral.

Par exemple, Ottawa prétend que la capture du carbone réduira les émissions de 15 mégatonnes d’ici 2030. Québec n’inclut aucune réduction pour cette technologie. C’est trop hypothétique, explique M. Charette, avec raison.

Même chose pour l’électrification du transport lourd et l’aluminium vert. Bien qu’il espère que cela baissera les émissions de GES, Québec juge ces avancées trop imprévisibles pour les comptabiliser dès maintenant dans son plan.

Et il y a pire : en laissant miroiter des avancées irréalistes avec la capture du carbone, M. Guilbeault pourrait offrir un prétexte à l’industrie pour produire plus dans les prochaines années.

Les critiques de M. Charette sont donc fondées. C’est juste qu’il n’est pas le mieux placé pour lancer la première pierre.

MM. Charette et Guilbeault ont en commun de faire les frais des ratés de leurs prédécesseurs. Depuis 1990, les émissions de GES ont augmenté de plus de 20 % au Canada, et elles ont baissé d’à peine 2 % au Québec. L’effort à faire est d’autant plus grand.

Des écologistes trouvent que leurs cibles sont insuffisantes. Je trouve qu’ils sautent une étape. Il faudrait commencer par exiger plus de mesures concrètes pour atteindre les objectifs actuels avant de les rehausser.

Québec mise essentiellement sur deux politiques : l’électrification des transports et la Bourse du carbone.

De l’aveu du ministère de l’Environnement, la stratégie pour forcer des concessionnaires à offrir une certaine proportion de véhicules électriques ou rechargeables sera sans effet avant 2029. Pourtant, il s’agit d’une mesure tarte aux pommes. On offre simplement plus de choix aux automobilistes.

Cet échec s’explique par le surplus de crédits gratuits qui dispensent les concessionnaires de respecter les quotas. La même faiblesse se trouve dans le marché du carbone du Québec avec la Californie.

Il y a 10 ans, on le qualifiait de novateur. Mais à cause des crédits donnés aux grands émetteurs, le prix reste bas.

Le fédéral imposera bientôt un prix plus élevé par tonne. Et cet écart ne fera qu’augmenter avec le temps. En 2030, une tonne de carbone coûtera 170 $ dans les provinces où le système fédéral s’applique.

M. Charette rappelle que contrairement au fédéral, notre marché du carbone réinvestit chaque dollar perçu dans la lutte contre les changements climatiques. C’est vrai. Mais selon le bureau du vérificateur général, cet argent est mal dépensé.

Le gouvernement caquiste ne peut pas railler le plan de M. Guilbeault tout en demandant au fédéral de lui permettre de moins tarifer le carbone…

M. Charette a le mérite d’avoir déposé un plan plus précis et concret que celui du fédéral. Mais ce qu’il gagne en honnêteté, il le perd en ambition. Son plan n’énonce que la moitié des réductions requises pour atteindre la cible en 2030.

Selon les projections actuelles, les émissions de GES du Québec passeront de 84 à 71 mégatonnes en 2030. L’objectif est de 53 mégatonnes. Le fédéral, qui doit publier des estimations de chaque province pour donner un total canadien, prévoit que ce chiffre sera de 60 mégatonnes.

En somme, ce que dit M. Charette, c’est que le fédéral est déconnecté, car il ne prédit que partiellement l’échec…

Certes, les efforts du Québec doivent être remis en perspective. Depuis 1990, le Québec a réduit ses émissions de 2 mégatonnes. Pendant ce temps, elles ont explosé de 135 mégatonnes en Alberta et en Saskatchewan !

C’est là que le pétrole et le gaz sont produits. Mais le Québec fait lui aussi partie du problème en le consommant avec ses voitures toujours plus grosses et nombreuses.

Au fond, les ratés du Québec sont complémentaires à ceux du reste du pays. Cet échec, c’est un travail d’équipe.

En environnement, il y a deux catégories de politiciens : ceux qui essaient de convaincre les autres d’en faire plus, et ceux qui se justifient d’en faire moins qu’on ne leur demande. Ceux qui sont dans la deuxième case seront du mauvais côté de l’histoire.