Dans la catégorie « euphémisme du printemps », voici un excellent candidat : ce sera « difficile » d’ajouter entre 40 000 et 60 000 logements cette année au Québec.

C’est le nombre d’unités locatives qui manqueraient. Derrière ce chiffre se cachent des familles, des aînés et des personnes seules qui se cherchent un toit. Qui en voient d’autres s’enrichir avec l’immobilier pendant qu’ils égrènent les annonces en quête d’un appart trop éloigné, trop petit. Qui ont l’impression d’être giflés par la main invisible du marché.

C’est dans ce contexte que commencent ce jeudi les assises de l’Union des municipalités du Québec (UMQ). Les élus doivent intervenir dans le marché. Avec urgence, mais aussi avec doigté, pour éviter les effets pervers.

Puisque le sujet est complexe, je mets de côté l’accessibilité à la propriété pour me concentrer ici sur le secteur locatif.

Quel est le problème ? En une phrase, l’offre insuffisante.

L’industrie est en surchauffe. Les coûts des chantiers gonflent, et la main-d’œuvre se fait rare.

Dans la majorité des régions, il y a une « pénurie » ou une « crise » du logement – un taux d’inoccupation respectivement sous 3 % et sous 1 %.

Dans l’île de Montréal, le taux est d’un peu plus de 3 %. Mais il y a une autre forme de crise. Pas d’accès. Plutôt d’abordabilité.

Il s’y construit de plus en plus d’appartements, mais ce sont des projets haut de gamme. Il ne manque pas trop de choix, à condition de ne pas manquer d’argent…

Laissé à lui-même, le marché ne fonctionne pas.

L’État pourrait financer plus de logements sociaux – des appartements pour des gens à faible revenu qui sont gérés par des coopératives ou des organismes sans but lucratif. Cette catégorie est définie en fonction du revenu du locataire, qui est subventionné pour payer son loyer.

Le gouvernement Couillard a annoncé 15 000 logements sociaux. Ils n’ont jamais vu le jour, faute de financement. Le gouvernement Legault s’est engagé à les réaliser. Près de 8000 unités ont été construites ou sont en chantier.

C’est mieux, mais cela reste insuffisant. L’UMQ en souhaiterait 4000 par année, chaque année. Ce serait nécessaire. Mais en même temps, c’est deux fois plus que le record annuel. Trouver ces promoteurs et ces travailleurs serait un défi colossal.

Il faut aussi plus de logements abordables. Or, les promoteurs n’ont pas d’intérêt à les construire. Ils ne sont pas payants. Pour compenser, le fédéral a un programme qui subventionne la construction de loyers au rabais. Il est basé sur la médiane canadienne.

Mais le Québec est la province avec les loyers les moins chers, alors chez nous, un quatre et demie peut être « abordable » selon Ottawa même s’il coûte plus de 1000 $ par mois.

En réaction, la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, a créé le Programme habitation abordable Québec, fondé sur le loyer médian de chaque région du Québec. Il est doté de 300 millions sur cinq ans.

Les grands constructeurs l’ont boudé à cause des contraintes jugées trop lourdes. Mais selon mes infos, plusieurs coops, OBNL et petits promoteurs auraient déposé des projets avant l’échéance du 5 mai. Il y en aurait assez pour dépenser toute l’enveloppe. Si c’est le cas, ce succès mériterait d’être bonifié. À condition de s’assurer que seules les personnes à revenus modestes en bénéficient et de maintenir en même temps Accès Logis, un autre programme destiné au non-lucratif.

Pour ajouter des logements et se densifier, plusieurs villes réclament un droit de préemption donnant un premier droit sur un terrain à vendre. Montréal le peut déjà. Mme Laforest s’est montrée sensible à cette demande.

Si elle y accède, les villes devront en contrepartie se discipliner. Car en utilisant ce pouvoir pour geler des terrains sans avoir les moyens d’y ériger un édifice, elles frustreraient les promoteurs sans aider leurs résidants.

Les villes doivent aussi éviter de nuire avec des règlements trop complexes. Une stratégie commune est d’interdire un type de projet, puis d’accorder des dérogations à la pièce. Cela leur donne le gros bout du bâton pour exiger des changements. Cette imprévisibilité décourage les investissements. Surtout si la dérogation doit être approuvée par référendum. Les promoteurs iront ailleurs, souvent en banlieue.

Cette densification en version « pas dans ma cour », c’est le meilleur ami de l’étalement urbain.

Pour améliorer l’offre, il faut également arrêter d’enlever des logements du marché.

Premier problème, Airbnb. En 2019, les caquistes ont adopté une loi qui force les locateurs à court terme à obtenir un permis touristique. Or, elle est systématiquement violée. À Montréal seulement, entre 6000 et 12 000 logements auraient été retirés du parc locatif pour être offerts sur cette plateforme, sans permis. Revenu Québec pourrait ajouter des inspecteurs. Autre option : que la multinationale fasse elle-même les vérifications en amont, en respectant la confidentialité des données des Québécois.

PHOTO LIONEL BONAVENTURE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Autre source d’inquiétude : les OBNL d’habitation qui vendent leur édifice à des promoteurs privés. À Sherbrooke, les administrateurs du Faubourg Mena’Sen s’en sont mis plein les poches avec leur projet financé par le public. C’était légal, et c’est justement le problème.

Mme Laforest s’engage à bouger. Mais elle n’agit pas pour régler une autre injustice, les rénovictions. En principe, la loi les interdit. Sauf qu’elle ne fonctionne pas. Une minorité de locataires connaissent leurs droits – à peine 200 contestations de rénovictions sont faites chaque année. Et quand les propriétaires perdent, l’amende n’est pas dissuasive.

Enfin, il y a l’abordabilité. Le prix des loyers est contrôlé. Le Tribunal administratif du logement publie chaque année un indice d’augmentation. Mais les nouveaux locataires peinent à le faire respecter. Québec solidaire réclame un registre national des baux. Mme Laforest rétorque que ce serait coûteux, lourd à gérer et redondant – la clause G sur le bail exige d’indiquer le montant payé par le locataire précédent. Elle ajoute que l’Ontario a abandonné son registre à la fin des années 1990, qui avait coûté plus de 30 millions. Reste qu’il serait pertinent de vérifier si le web permettrait d’en concevoir une version moins onéreuse.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales

La ministre a par contre manifesté son intention de légiférer pour réduire la période durant laquelle les promoteurs peuvent hausser sans limites le loyer d’une nouvelle unité.

Enfin, il faudra faire le ménage à la Société d’habitation du Québec, dont mon collègue Francis Vailles a documenté les ratés1.

Québec devra trouver le bon équilibre pour que les promoteurs construisent plus, tout en les empêchant de cibler seulement les locataires fortunés. Ça urge.

Il n’est pas normal que, dans une société prospère comme le Québec, tant de gens peinent à dénicher un toit.

1. Lisez « L’équivalent de 7000 HLM inutilisés au Québec »