Statistique Canada a rendu publiques, cette semaine, les données du recensement de 2021 concernant les langues parlées à la maison, dans tout le pays. On note que le français est de moins en moins utilisé, non seulement au Canada, mais au Québec aussi. Ce recul est terriblement inquiétant. Au-delà des mesures devant être prises pour protéger notre langue, c’est à chaque francophone de s’engager à la faire rayonner, avant que l’on soit full assimilé.

Cela dit, permettez-moi, ce matin, d’aller ailleurs. Si le rapport de Statistique Canada nous révèle que les gens se parlent moins en français, il ne nous révèle pas que les gens se parlent moins, tout court. Peu importe la langue choisie. Pourtant, on constate que c’est le cas. Et j’aimerais bien avoir des chiffres pour confirmer la théorie que voici…

L’humain ne parle plus autant qu’avant. À preuve, durant un siècle, le téléphone était un objet pour se parler, il est aujourd’hui un objet pour écrire, pour écouter, pour regarder, pour acheter. Exceptionnellement pour converser avec la bouche. Mais pas trop longtemps.

C’est le mantra de nos journées : écrire et regarder. Le small talk ou, si vous préférez, la petite jase, la jasette, ne se pratique plus, on règle ça par textos. Ça va ? Qu’est-ce que tu fais ? As-tu mangé ? Chus fatigué. Je t’aime. Bisous. Bisous. Pus besoin de tout arrêter pour ces conversations du quotidien. Qui plus est, on peut small talker avec plusieurs personnes en même temps. Ce qui aurait accaparé une heure de notre journée se règle en cinq minutes.

Quand on a quelque chose d’important à dire à quelqu’un, que fait-on ? Un courriel. Un long courriel. Ce qui nous permet de bien expliquer notre point de vue sans être interrompu. Parce que c’est ça, l’ennui avec la parole, ça demande de l’écoute, de l’attention, de la disponibilité. Tandis qu’avec l’écrit, tout se passe quand bon nous semble. Quelqu’un nous demande comment ça va à 9 h, on lui répond « bien, et toi ? » à 17 h. On n’est pas pris en otage comme dans un échange verbal.

Quand le correspondant est lourd, on le ghoste, c’est tout. Fini le temps perdu à écouter des jérémiades d’une connaissance dont le sort nous intéresse à peine. Et quand, par malheur, on est pogné dans cette situation, on priorise toujours le mot en bleu ou en vert qu’on reçoit.

On partage nos joies et nos tracas dans un statut Facebook. Et quand on vit quelque chose de vraiment gros, on envoie une photo, ça vaut mille mots !

La langue maternelle à la maison n’est plus utilisée de la même façon. Chaque membre de la famille a ses écouteurs sur les oreilles et vit dans son monde. Bien sûr, ça leur arrive de regarder Netflix ensemble, mais avant, quand on regardait la bonne vieille télé en gang, il y avait les pubs pour se parler, tandis que maintenant, on peut binger Stranger Things côte à côte pendant 10 heures sans prononcer la moindre syllabe.

Avant, on écoutait la radio dans la cuisine. Elle jouait pour tout le monde, au même moment. On rebondissait entre nous sur les propos d’Arcand, de Ron ou de Christiane. Aujourd’hui, chacun écoute son balado. Si un conjoint est rendu au deuxième épisode et que l’autre est déjà au sixième, il ne faut surtout pas qu’il lui en parle. Chéri(e), dis rien !

Naguère, on allait dans les cafés pour rencontrer du monde, maintenant, on y va pour le WiFi. Au lieu de converser avec la personne à la table à côté, on tchatte avec une autre personne, dans un café de la rue d’à côté, qui est elle aussi entourée de personnes avec qui elle ne parle pas.

Sur TikTok, on émet des sons, mais c’est jamais très long. Dans nos stories, on parle au kodak pour rejoindre ses milliers d’amis. C’est plus rentable.

Bref, on économise notre salive comme jamais dans l’histoire. Et avec le métavers, ce n’est pas près de changer. Dans le prochain recensement, il faudra ajouter cette question : « Combien de minutes parlez-vous par jour ? » La tendance sera à la baisse, peu importe la langue.

Dommage, parce que c’est quand même chouette, parler. Ce n’est pas moi qui vais dévaloriser l’écriture, au contraire, mais il y a un moment pour tout. Et la vie de tous les jours porte à la parlure. Il y a dans la conversation verbale une vibration qui résonne sur le cœur. Le son de la voix en dit souvent plus que les mots énoncés. Et c’est ce que l’on perd dans les messages ; on a le texte, mais on n’a pas la chanson. On a beau ajouter tous les émojis qu’on voudra, ça manque d’émotions.

Je sais qu’aujourd’hui y fait chaud pour se faire aller le clapet, mais avec une bonne bière, on est huit milliards, faut se parler !