Je regardais Ronide Casséus parler de son fils Jayson, assassiné il n’y a pas un mois. Et je ne comprenais pas d’où lui venait cette force.

Jayson Colin avait 26 ans. Fils de Montréal-Nord, impliqué dans la communauté, pas d’ennemis connus, pas connu des policiers comme le veut la formule pour parler des individus qui trempent dans des affaires louches.

La mort de « JayJay », le 10 août, a frappé l’imaginaire dans le quartier, pourtant habitué à de tels chocs.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Ronide Casséus, mère de Jayson Colin, en marge d’une conférence de presse Place Normandie, à Montréal-Nord

Mardi, Ronide Casséus avait convoqué les médias Place Normandie, un petit archipel de HLM où elle a œuvré comme intervenante auprès des enfants et des ados pendant 15 ans ; Place Normandie, où elle a habité avec « JayJay », ils sont arrivés quand le petit avait 2 ans, a-t-elle dit en montrant la direction de l’appart…

Et c’est à ce moment que Mme Casséus a craqué, en évoquant son arrivée avec Jayson Place Normandie, c’est à ce moment qu’une larme s’est mise à couler sous ses verres fumés, traçant un long sillon vers sa mâchoire, sur la joue droite.

Perdre son fils, même à 26 ans, c’est une déchirure sans nom. Il faut être forte pour parler ainsi de son bébé, en conférence de presse. Forte comme une mère.

Ronide Casséus était flanquée de son conjoint, Roberson Berlus, travailleur de rue au Café-Jeunesse Multi-culturel de Montréal-Nord. À eux deux, Ronide Casséus et Roberson Berlus incarnent la tragédie de Montréal-Nord, la tragédie de ces quartiers où ça tire de plus en plus, ces derniers temps.

Mme Casséus, je le disais, a œuvré 15 ans auprès des jeunes du quartier. Son dévouement en a sûrement empêché beaucoup de mal tourner. Pour cela, elle a été payée des pinottes. Pour cela, elle a reçu une distinction de l’Assemblée nationale1.

Comme travailleur de rue, M. Berlus tisse des liens avec les jeunes, en empêche lui aussi de mal tourner. Il est de garde 24/7. Il fait une forme de pédagogie, intervenant souvent dans les médias pour expliquer Montréal-Nord.

En février 2021, j’ai cité en chronique une entrevue de M. Berlus2 au Journal de Montréal, à propos de ces fusillades de plus en plus nombreuses, à propos de jeunes de Montréal-Nord, qui songeaient à s’armer : « Il y a cette peur. Certains me disent : “C’est dangereux, il faut que je me défende.” Depuis la dernière année, presque tous ces jeunes-là connaissent quelqu’un, de près ou de loin, qui a été atteint par balles. »

Et là, exactement 18 mois après ces paroles de Roberson Berlus, quelqu’un qu’il connaissait de très, très près, Jayson, le fils de son amoureuse, son beau-fils, allait devenir une autre victime de la violence par armes à feu dans cette ville…

Mme Casséus a longuement parlé de son fils, de son amour pour le sport, pour le hockey notamment ; de ce projet que « JayJay » avait de faciliter la pratique du hockey pour les jeunes défavorisés de Montréal-Nord. Mme Casséus a parlé de son fils avec force détails : Jayson, le colleux ; le câlineux ; Jayson, l’enfant qui avait grandi et mûri prématurément car sa mère faisait des séjours fréquents à l’hôpital ; Jayson, qui ne s’était jamais mis dans le pétrin ; Jayson, avec qui elle formait une équipe…

Je regardais Ronide Casséus parler de son fils principalement au présent, dans des phrases comme : « Jayson est un enfant qui… »

J’ai pensé : le temps des verbes est parfois une bouée à laquelle on s’accroche quand le deuil est encore brûlant, quand le souvenir des êtres aimés est encore vif, trop vif pour les conjuguer au passé.

Mme Casséus et M. Berlus avaient quelques messages, pour sortir du marasme actuel.

D’abord, ils se demandent où est le plan sécuritaire pour que le quartier retrouve sa sérénité. Ce n’est pas normal, a dit Ronide Casséus, que des gens aient peur de sortir après 19 h, le soir, comme c’est le cas à Montréal-Nord.

Ensuite, il faut un équilibre dans les investissements. Bien sûr, plus de policiers, plus de moyens. Mais pas seulement ça. De l’équilibre aussi dans les sommes qu’on va investir en prévention et en répression.

Il a aussi été question, à mots couverts, de ne pas financer toujours les mêmes organismes. De bien financer les organismes qui sont proches du terrain, mais qui – si je décode bien – sont peut-être moins bien branchés sur les décideurs… Je relaie ce message en rappelant qu’il n’y a que trois travailleurs de rue dans tout Montréal-Nord, dont M. Berlus. Il ne faut pas être diplômé de socio-criminologie pour comprendre que c’est trop peu.

Quant à leur souffrance personnelle, Ronide Casséus et Roberson Berlus ont noté que même si la mort de Jayson a été médiatisée, même s’ils ont tous deux des racines connues dans le quartier, les notes de condoléances officielles n’ont pas été nombreuses.

Isabelle Brais, la conjointe de François Legault, est allée les voir, elle a été une oreille attentive et compatissante. Une des seules du circuit politique connu, ont déploré Ronide Casséus et Roberson Berlus.

En revenant vers la voiture, après la conférence de presse, il y avait une douille de balle, par terre. Une douille de pistolet verte, en mousse, vous savez, pour les fusils-jouets…

Le seul genre de douille qu’on devrait retrouver dans une ville comme Montréal.

J’ai noté dans mon calepin : « douille verte Nerf ».

J’ai noté ça au hasard d’une page, en marchant, pour ne pas oublier l’image, juste à côté de ces mots que j’avais notés plus tôt, pendant la conférence de presse : « Une larme coule, sillon est là, sous l’œil ».

Et quelque chose m’a frappé, quelque chose que je n’avais pas eu le temps de noter : Ronide Casséus n’a jamais essuyé cette larme.

1. Lisez l’article « Une ex-intervenante de Montréal-Nord récompensée » 2. Lisez la chronique « À Montréal, bordel ! »