Bon, d’accord, il aurait pu attendre une demi-heure, trois quarts d’heure de plus. Mais Paul St-Pierre-Plamondon, en refusant le deuil monarchique, a le mérite de la cohérence. On ne peut pas souhaiter créer une république et révérer les symboles d’une monarchie étrangère.

C’est tout aussi vrai pour le Canada. Mais les partis politiques fédéraux font tous comme s’il n’y avait rien de bizarre à ce que le chef de l’État canadien soit un type domicilié dans un château en Angleterre.

Le Canada n’a obtenu son indépendance juridique formelle du Royaume-Uni qu’en 1982, quand sa Constitution a cessé d’être une loi du Parlement britannique. Songez qu’il fallait se rendre à Londres il y a seulement 41 ans pour modifier la loi fondamentale du pays.

On a juste oublié de rapatrier le chef des armées en même temps que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

Le geste de rupture aurait été trop brutal pour certains, et politiquement impraticable. Le simple fait de placer des têtes de premiers ministres sur certains billets de banque à la place de la reine en avait défrisé plusieurs, il y a 50 ans, alors imaginez la détrôner localement…

Sauf que maintenant, la monarchie britannique ne sera plus confondue avec la personne d’Élisabeth. Charles ne pourra jamais même approcher le statut mythique de sa mère, magnifiée ces dernières années par plusieurs œuvres de docu-fiction.

Il devient tout d’un coup plus facile de regarder les choses royales froidement, et de considérer l’institution pour ce qu’elle est : un anachronisme héréditaire devenu presque charmant au fil des ans, mais qui, sous les dorures, cache mal un passé souvent horrible.

De toute manière, nul besoin de faire le procès de la monarchie britannique — encore que même en visionnant The Crown, on peut trouver bien des pièces à conviction d’un impérialisme pas si lointain.

Il suffit de constater que cette monarchie, même idéalisée, est étrangère. Elle devrait rester dans les confins de son « royaume », qui ne demeurera peut-être pas si uni, à lire les dernières nouvelles d’Écosse.

La Barbade n’a pas attendu la mort d’Élisabeth. Elle s’est débarrassée de la monarchie britannique en 2021, et c’est maintenant une république parlementaire. Une présidente est la cheffe d’État, élue par le Parlement, avec des fonctions essentiellement protocolaires, comme un gouverneur général.

L’Australie a eu ce débat, qui a fini en queue de poisson après un référendum raté en 1999, mais le sujet pourrait resurgir.

La première ministre de Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern, s’est dite d’avis que, de son vivant, le pays coupera les ponts avec la monarchie britannique.

Ici ? Rien.

Le fruit est pourtant mûr.

Nul besoin de renoncer au parlementarisme britannique, à l’héritage du droit anglais ou même à l’association avec le Commonwealth. L’idée est simplement de rompre avec le passé colonial pour de bon, officiellement, juridiquement, symboliquement.

Mais oui, je connais toutes les objections, et il y en a d’excellentes, mais elles sont surtout d’ordre pratique. Oui, il faudrait modifier la Constitution. Et ce bout-là de la Constitution nécessite l’unanimité des 10 provinces et du Parlement fédéral. Oui, on sait que la Constitution maintenant ne peut être amendée sans un référendum. Et que tout le monde voudra marchander sa participation. Le Québec, qui n’a jamais signé la Constitution canadienne de 1982, n’ira sûrement pas accepter de rentrer dans le rang juridique juste pour ça. Les Premières Nations auront aussi leurs revendications. Etc.

Pourtant, même la Grande-Bretagne, qui n’a pas eu de Constitution formelle pendant des siècles, a modifié la sienne, et a changé des institutions qui semblaient immuables.

C’est peut-être infaisable, remarquez bien. Mais avant de postuler à l’infaisabilité, il me semble qu’on devrait au moins avoir cette discussion. Au moins, regarder en face l’absurdité institutionnelle de ce reliquat colonial.

Ce que ça changerait ? Pas grand-chose, d’une certaine manière. À part de se défaire d’un tutorat symbolique étranger… ce qui est énorme.