Finalement, « Continuons » n’était pas qu’un slogan. La moitié des ministres du premier gouvernement Legault ont été reconduits dans leurs fonctions.

Cela ne devrait pas surprendre. Les caquistes ont l’impression de s’être fait voler une partie de leur mandat à cause de la pandémie, et plusieurs ministres avaient de vastes réformes encore en chantier.

En santé, Christian Dubé venait tout juste de déposer son plan ambitieux quand la session s’est terminée. Aux services sociaux, Lionel Carmant n’a pas fini d’appliquer les recommandations de la commission Laurent sur les droits des enfants. En agriculture, André Lamontagne est particulièrement apprécié. Pour les Premières Nations et les Inuits, Ian Lafrenière commençait à peine à développer des relations avec les communautés. Et Simon Jolin-Barrette est loin d’avoir achevé sa costaude réforme du droit de la famille. Le trio économique formé d’Eric Girard, Sonia LeBel et Pierre Fitzgibbon paraissait difficilement remplaçable.

C’est tout un changement par rapport à 2018. Le Conseil des ministres ne comptait alors que des recrues, à l’exception de François Legault et de Marguerite Blais.

Source de tensions à prévoir avec Hydro-Québec, M. Fitzgibbon ajoute à ses fonctions le dossier de l’Énergie. Il voudra faire de la transition énergétique un projet de développement économique. Mais pensera-t-il aussi à la sobriété et à l’efficacité ? Pour calmer le jeu, M. Legault présidera un nouveau comité sur ces questions auquel siégera notamment la PDG de la société d’État.

En environnement, la continuité ne peut pas être le seul objectif. Le ministre Benoit Charette vante son plan, mais il ne permet d’atteindre que la moitié de la cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Geneviève Guilbault hérite des Transports. Députée de la Capitale-Nationale, elle défendra farouchement le troisième lien. Mais elle n’a jamais donné l’impression d’être préoccupée par l’environnement. Elle aura la chance de démontrer le contraire avec le dossier du tramway et celui de la nouvelle mouture du REM de l’Est, si cela l’intéresse.

Seuls deux ministres ont été éjectés : Pierre Dufour, qui s’était démarqué par son mépris des écologistes, et Lucie Lecours, qui n’aura malheureusement pas eu le temps de faire ses preuves. Les autres places ont été libérées par la retraite politique de quatre ministres.

S’il y a un endroit où le slogan « Continuons » est moins clair, c’est à l’Éducation. M. Legault a dit que cela avait toujours été sa priorité, mais il est difficile de prévoir quelle orientation Bernard Drainville y donnera. J’en reparlerai bientôt.

Au moins, il sera soulagé de l’Enseignement supérieur, qui revient à Pascale Déry, ex-journaliste, qui a géré les communications de l’Institut économique de Montréal, un think tank de droite, puis d’Air Canada, où elle défendait Michael Rousseau.

Parmi les autres recrues, quelques choix paraissent logiques. À l’immigration, Christine Fréchette, ex-PDG de la Chambre de commerce de l’Est de Montréal et ex-conseillère de Jean-François Lisée, pourra mettre à profit sa rigueur et sa sobriété.

Personne n’a été surpris non plus de voir Sonia Bélanger, ex-infirmière et ex-PDG du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, hériter du dossier des Aînés.

L’ex-journaliste Martine Biron pilotera les Relations internationales, ce qui lui permettra d’apprivoiser son nouveau métier à une certaine distance des caméras. Reste à voir si ce ministère sera géré comme un simple bureau commercial.

A priori, on ne voyait pas Suzanne Roy à la Famille. Mais pour les garderies, on n’a plus besoin de rédiger un programme. L’heure est à l’action. La CAQ croit que cette ex-mairesse de Sainte-Julie et ex-présidente de l’Union des municipalités a l’expérience pour alléger la bureaucratie et créer les places promises. Le ministre sortant, Mathieu Lacombe, n’a pas démérité, mais son entregent aidera à la Culture, où la CAQ n’a pas réussi à tisser des liens étroits avec la communauté artistique, malgré ses hausses de budget.

On peut s’étonner de voir Jean Boulet encore ministre du Travail après sa déclaration mensongère et incendiaire sur les immigrants qui ne travailleraient pas. Avant ce dérapage odieux, il avait été solide. Et en tant qu’ex-militant du Parti libéral du Canada, il est en fait un des moins nationalistes du caucus. Il se voit accorder une dernière chance.

Jean-François Roberge pourra aussi se reprendre. Après un laborieux mandat à l’Éducation, son ton parfois cassant pourra être utile aux Affaires intergouvernementales. On espère que cet ex-péquiste sera plus revendicateur que Sonia LeBel.

Responsable également de la défense du français, il devra travailler étroitement avec sa collègue ministre de l’Immigration et de la Francisation, qui remplit un rôle crucial.

L’Accès à l’information s’ajoute aux dossiers de M. Roberge. En le surchargeant ainsi, on risque de noyer le sujet. Ce qui n’est peut-être pas une coïncidence…

Autre rebrassage, l’Habitation sort du ministère des Affaires municipales pour relever d’une nouvelle venue, France-Élaine Duranceau. Elle devra dénouer les habituels nœuds avec le fédéral et se montrer sensible au sort des démunis.

À peu près personne ne voyait Maïté Blanchette Vézina, ex-mairesse de Sainte-Luce, à la tête des Ressources naturelles. Même si ce ministère n’est plus responsable d’Hydro-Québec, la bouchée demeure grande pour la recrue de 37 ans. Elle incarne la relève, et aussi la volonté de la CAQ de détrôner le PQ dans le Bas-Saint-Laurent.

Enfin, il y a Kateri Champagne Jourdain, toute première femme autochtone élue députée et nommée ministre. C’est une belle prise et un beau symbole. Qu’elle ne soit pas à la tête des Affaires autochtones est tout à fait normal – les attentes auraient été impossibles à gérer. Comme ministre de l’Emploi, elle travaillera autrement à l’émancipation des premiers peuples.

Pour ce nouveau Conseil des ministres, le plus difficile reste à venir. Car avec une si vaste équipe, il deviendra plus que jamais difficile de justifier le maintien en poste d’un incompétent. Car ils seront nombreux, ceux qui rêvent de prendre leur place.