Si un jeune meurt du cancer faute d’avoir pu obtenir les traitements dont il avait besoin, diriez-vous que c’est la faute de ses parents ou encore sa propre faute ?

J’ai posé très sérieusement la question à des lecteurs qui ont réagi à ma chronique de dimanche sur les morts par surdose en s’en remettant à des idées reçues sur le sujet.

« Ce n’est pas à l’État de régler le problème, mais à la famille. L’éducation commence à la maison », m’a écrit un lecteur.

« Et si on parlait plutôt de responsabiliser les parents ? », a renchéri une lectrice qui croit que le parallèle avec le cancer ne tient pas la route.

« Un cancer, c’est quelque chose qui nous est infligé, qui nous tombe sur la tête. » Alors que la dépendance, selon elle, serait causée par « la façon des parents d’élever leur enfant au pays des Calinours », sans le préparer à affronter les difficultés de la vie.

C’est peut-être vrai au pays des préjugés. Mais pas au pays de la science.

Ce que nous dit la science, c’est que la dépendance aux drogues est une maladie chronique, pas une tare morale.

Il ne nous viendrait pas à l’esprit de condamner des personnes souffrant de diabète de type 2 en disant que ce n’est pas à l’État de payer pour leur mode de vie sédentaire ou leur alimentation peu variée. On ne le ferait pas non plus pour des gens atteints d’un cancer. On les soigne et c’est tout. Les patients aux prises avec une dépendance ainsi que leurs proches devraient avoir droit au même respect.

Je cite Suzanne Brissette, chercheuse en médecine des toxicomanies au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), interviewée par mon collègue Philippe Mercure dans le cadre de son excellent reportage sur les morts par surdose : « On ne le dira jamais assez : la dépendance aux drogues comme les opioïdes est une maladie du cerveau, pas un trouble du comportement. »

Comme le montrait de façon percutante le reportage de Philippe, l’épidémie invisible de surdoses, qui entraîne 500 décès évitables par année au Québec, menace des gens de tous les milieux.

Des citoyens comme vous et moi à mille lieues de tous les clichés sur les vilains « drogués ».

La lutte contre cette épidémie invisible exige qu’on lutte contre la surdose de préjugés qui l’entoure encore. J’en cite un seul, bien tenace : trop souvent encore, la dépendance est perçue comme un simple manque de volonté qui mérite d’être puni plutôt que comme un problème de santé complexe qui peut être traité. Or, on sait que cette stigmatisation de personnes aux prises avec une dépendance a de graves conséquences. Cela fait en sorte qu’il leur sera plus difficile de demander de l’aide sans être jugées.

Des solutions existent. Et les plus efficaces, dans certains cas, ne sont pas nécessairement celles auxquelles on pourrait penser spontanément. C’est l’une des choses qu’a réalisées Isabelle Fortier, cette courageuse mère endeuillée dont je parlais dimanche, en faisant un certificat en toxicomanies après la mort de sa fille, emportée par une surdose à l’âge de 24 ans.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Isabelle Fortier, mère de Sara-Jane, qui est morte à l’âge de 24 ans d’une surdose.

Avant de lire des études sur le sujet, elle pensait que les traitements fondés sur l’abstinence pure et simple constituaient LA solution la plus efficace. Vous avez un problème de drogue ? Cessez immédiatement d’en consommer et vous n’aurez plus de problème…

Ce n’est pas aussi simple. Dire à une personne souffrant de dépendance à la drogue « Arrête de consommer ! », c’est un peu comme dire à une personne diabétique « Arrête d’être diabétique ! », a-t-elle réalisé. C’est faire fi du fait que la dépendance, comme le diabète, est une maladie chronique.

Ce qui fonctionne mieux pour bien des gens, c’est l’approche plus pragmatique et plus humaine de réduction des méfaits, au cœur de la stratégie québécoise de prévention des surdoses. Cela consiste grosso modo à réduire les conséquences négatives liées à l’usage des drogues, notamment en fournissant au besoin une ordonnance médicale d’opioïdes au patient plutôt que de le laisser mourir d’une surdose en utilisant les drogues contaminées du marché noir.

Fournir de la drogue à des gens qui en sont dépendants peut choquer certaines personnes, certes. Mais comme l’explique bien la Dre Marie-Ève Goyer dans le reportage, ça ne devrait pas être une question de morale, mais bien de science. Les études montrent que c’est un traitement qui fonctionne. « Imaginez si on avait ça pour le cancer ou pour n’importe quelle autre maladie et qu’on ne l’utilisait pas : le ministre de la Santé se ferait lyncher. Là, c’est l’inverse. Il faut se battre pour le mettre en place. »

Tout ça à cause d’une surdose de préjugés. N’est-ce pas ce qui devrait vraiment nous choquer ?

Lisez La chronique « L’épidémie invisible : Isabelle et sa petite renarde » Consultez le grand reportage