Zoé était brûlante de fièvre. La petite de 18 mois peinait à respirer. Mais aux urgences de l’Hôpital d’Asbestos, il lui a fallu deux heures avant de passer… au triage.

C’était le 14 novembre. Un paquet d’enfants malades s’entassaient avec leurs parents dans la salle d’attente. Une infirmière leur a crié qu’ils en auraient pour au moins 15 heures avant de voir un médecin. À Sherbrooke, c’était pire encore : 25 heures d’attente, minimum.

Avant de se rendre aux urgences avec leur fille Zoé, Amélie Villeneuve et Anthony Ducharme avaient fait une cinquantaine d’appels pour tenter d’obtenir un rendez-vous avec un médecin. En vain.

Au bout de quatre heures en observation, l’hôpital a retourné Zoé à la maison parce qu’il n’y avait plus de lits en pédiatrie, raconte Amélie Villeneuve.

Ils nous ont dit de vérifier que Zoé n’arrête pas de respirer pendant la nuit. On s’entend qu’on n’a pas dormi…

Amélie Villeneuve, mère de la petite de 18 mois

Au petit matin, l’état de leur fille avait empiré. « On s’est rendus à l’urgence du CHU de Sherbrooke. En moins de 10 minutes, elle était sous oxygène, parce qu’elle était vraiment en détresse respiratoire. »

Zoé a passé trois jours à l’hôpital, atteinte d’une bronchiolite grave. C’est au CPE qu’elle avait contracté le virus respiratoire syncytial (VRS), très contagieux – et dangereux – chez les jeunes enfants. À la pouponnière, trois des cinq bébés de son groupe ont été hospitalisés en même temps qu’elle.

Si Amélie Villeneuve sait tout ça, c’est qu’elle est directrice du CPE que fréquente sa fille, à Sherbrooke. Là-bas, comme dans les autres services de garde du Québec, le cocktail de virus respiratoires en circulation depuis plusieurs semaines fait des ravages. « Presque la moitié des enfants sont absents. La situation est catastrophique. »

Elle est d’autant plus catastrophique, cette situation, qu’une pénurie de médicaments pour enfants fait rage. Partout, les rayons des pharmacies semblent avoir été dévalisées. « Il n’y a plus de sirop pour la toux, il n’y a plus de Vicks pour bébés, il n’y a plus rien. On y va avec le bon vieux remède de mettre un oignon en dessous du lit, de l’eucalyptus dans la chambre. Des affaires un peu boboches, mais on est tellement découragés… »

Amélie Villeneuve est revenue au boulot le 23 novembre. Le jour même, une directive du ministère de la Santé et des Services sociaux a atterri dans sa boîte de courriels : il était temps pour les services de garde du Québec d’opérer un retour à la normale. Plus question d’exclure automatiquement un enfant qui tousse ou qui morve, comme c’était le cas depuis le début de la pandémie.

Il était temps d’apprendre à vivre avec les virus.

« Le fait de permettre aux enfants de fréquenter leur service de garde avec des symptômes légers est en accord avec l’approche syndromique annoncée par la Santé publique et par les autorités gouvernementales récemment », m’écrit une porte-parole du ministère de la Santé.

Il fallait bien un jour assouplir les règles sanitaires dans les services de garde. Il fallait bien revenir à la normale, dans ces établissements comme ailleurs. Mais avouez que le ministère de la Santé aurait difficilement pu choisir pire timing.

Les urgences pédiatriques débordent. La pénurie de médicaments est loin d’être résorbée. Le personnel soignant, à bout de souffle, multiplie les appels à l’aide.

Et on dit aux parents : envoyez vos enfants à la garderie, même s’ils toussent, même s’ils ont le nez qui coule, même s’ils ont la COVID-19 ! Pas de trouble ! Ça va bien aller !

Le pire, constate Amélie Villeneuve, c’est que des parents ont déjà commencé à le faire. Par égoïsme, par insouciance, ou parce qu’ils ont le sentiment de ne pas avoir le choix.

« Le système de santé n’est pas prêt pour ça. On risque d’envoyer toute ma pouponnière à l’hôpital en m’interdisant d’exclure [les enfants malades du CPE]. À Sherbrooke, la pédiatrie est surchargée. Il y avait quatre enfants dans la chambre de ma fille, séparés par des rideaux. On dormait sur une chaise pliante. L’hôpital n’avait presque plus de Tempra. Il n’y avait plus de mouchoirs ! »

Dans ce chaos aux accents soviétiques, Amélie Villeneuve juge la directive ministérielle du « retour à la normale » absurde et dangereuse. « Les pédiatres nous disent que le VRS, c’est comme la COVID-19 pour les enfants. Ça peut être vraiment critique. Mais ce n’est pas assez pris au sérieux. »

À défaut d’avoir l’appui des autorités sanitaires, la jeune maman a décidé de s’adresser directement aux parents : « Non, le port du masque n’est plus obligatoire, oui, vos enfants peuvent aller à la garderie même avec une toux… mais par pitié, si c’est le cas, gardez-les à la maison. »