La plateforme Twitter, propriété de l’homme-le-plus-riche-du-monde-selon-les-palmarès1 Elon Musk, a suspendu les comptes d’une dizaine de journalistes, il y a 48 heures. Cette décision est beaucoup de choses, mais… ce n’est pas de la censure.

Avant l’ère Musk, Twitter avait choisi de bannir des individus, pour divers « délits ». Donald Trump a été banni pour avoir incité ses supporters à prendre d’assaut le Capitole. Des néonazis ont été bannis parce qu’ils étaient des néonazis. Des trolls ont été bannis pour avoir harcelé des gens.

Ça s’appelle un choix éditorial.

Twitter est une entreprise privée qui fait ses propres choix éditoriaux. Comme le New York Times choisit qui va devenir chroniqueur sous sa bannière, comme La Presse choisit quelles lettres de ses lecteurs seront publiées, comme Le Monde décide de couvrir un sujet… ou pas.

Twitter a donc fait un choix éditorial, jeudi soir : les comptes d’une dizaine de journalistes affiliés à des médias professionnels ont été suspendus2.

Au cœur du litige : le jet privé du milliardaire à la tête de Tesla, SpaceX et Twitter. Les allées et venues des aéronefs sont (généralement) des informations publiques, que plusieurs sites spécialisés recensent en temps réel.

Les allées et venues du Gulf Stream G65ER de Musk sont donc connues, en vertu de ces données publiques. Un compte Twitter, @ElonJet, se consacrait même à documenter les déplacements du jet en question. Musk a naguère cité l’existence de ce compte comme une preuve de sa foi en une liberté de parole absolue…

Jusqu’à ce que @ElonJet soit suspendu.

Prétexte : doxing.

Doxquoi, monsieur le chroniqueur ?

En langage internet, le doxing (ou doxxing) est la publication d’informations sensibles sur un individu. Par exemple, son adresse résidentielle. Ou son numéro d’assurance sociale.

Musk estime que la publication des données de vol de son jet est du doxing. Il affirme qu’un de ses enfants a été suivi par un harceleur, sur la route, après qu’il a voyagé dans ledit jet privé…

Est-ce que c’est du doxing ?

Ça se discute.

Je pense qu’il y a une différence entre publier l’adresse résidentielle d’une personne et l’heure d’atterrissage d’un avion.

Est-ce que l’incident de harcèlement rapporté par Musk est par ailleurs réellement survenu ? Disons que Musk a une relation compliquée avec la vérité : voici un homme dont le récit de la mort de son enfant a été publiquement contredit par son ex-femme 3, la mère dudit enfant…

Musk a donc utilisé ce prétexte – la publication des données de vol de son avion – pour suspendre les comptes d’une dizaine de journalistes. Ont-ils vraiment fourni ces infos ? La chose n’est pas confirmée.

Ce qui est sûr, c’est que ces journalistes du New York Times, du Washington Post et de CNN couvraient les activités du milliardaire avec un sens critique qui lui déplaît. Pour quelqu’un qui est adulé par des fans qui lui vouent un culte semblable à celui que les mollahs de Téhéran vouent à Mahomet, ça doit être emmerdant.

Et ce qui est tout aussi sûr et tout aussi certain, c’est que sous la direction de Musk, Twitter a rétabli depuis six semaines les comptes de tout un aréopage de figures de l’extrême droite, dont quelques néonazis qui ne cachent pas leur haine des Juifs.

Je parle de gens comme Andrew Anglin, qui rêve d’une statue de Hitler de 1000 pieds de haut, qui a mené des campagnes incitant à la violence contre des Juifs et des Noirs4.

Je parle de gens comme Andrew Tate, un masculiniste qui parle des femmes comme d’une « propriété » et qui affirme les violenter pour leur faire entendre raison5.

Je parle de gens comme Marjorie Taylor Greene, une élue républicaine qui avait été suspendue en janvier pour dissémination de fausses informations, à répétition. Mme Greene se désole que la tentative de coup d’État du 6 janvier 2021 ait échoué6.

Et Musk lui-même a relayé une théorie du complot fabriquée par l’extrême droite dès les premiers jours de sa prise de contrôle de Twitter7.

Je résume : depuis un mois, Musk a ramené des figures de l’extrême droite qui sèment la haine… et expulsé des journalistes professionnels qui couvrent ses activités sans être obséquieux.

Ce sont des choix éditoriaux qui donnent une idée de la vision du monde d’Elon Musk.

À ce rythme, il ne restera plus sur Twitter que des complotistes payés aux clics, des gars qui seraient moins irritants s’ils trouvaient enfin l’amour, des admirateurs de Hitler et des paranos qui pensent que les toilettes non genrées sont la plus grande menace pour la civilisation occidentale…

Elon Musk a bien le droit de gérer sa propriété comme il l’entend, remarquez. C’est son jouet à lui, Twitter.

Ça ne plaît pas aux annonceurs, en tout cas : fin novembre, la moitié des 100 plus grands annonceurs de Twitter avaient déserté la plateforme8.

Il est absolument fascinant de voir qu’Elon Musk a dépensé une fortune – 44 milliards US – pour transformer Twitter en l’équivalent du fil Facebook de votre mononcle raciste, antivax et conspirationniste, celui qu’on hésite à inviter au party de Noël.

Mais Musk est un génie, dit-on…

LOL.

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