Les premières images créées par la race humaine sont celles que nos ancêtres préhistoriques peignaient dans leur caverne. Une famille moyenne de Cro-Magnon soupait devant un des murs de la grotte de Lascaux, en regardant les représentations d’aurochs et de chevaux. Ça ne bougeait pas, c’était toujours les mêmes, ils ne pouvaient pas changer de poste, mais ça les désennuyait. Bien sûr, ils auraient pu manger leur lunch dehors, en regardant de vrais aurochs et de vrais chevaux, mais c’était plus confortable et moins dangereux en dedans.

Durant des millénaires, l’humain s’est entouré d’images fixes : peintures, gravures, sculptures. Leur partage était limité. Pour contempler les plus grandes œuvres, il fallait être invité dans les palais des rois ou sous le toit des papes.

Au début du XIXe siècle, l’invention de la photographie allait permettre, 80 ans plus tard, l’invention de la cinématographie. Enfin les images bougeaient sur l’écran comme on bouge dans la vie. Ou presque. Les gens marchaient un peu plus vite, comme s’ils avaient pris huit cafés. Et la foule s’est précipitée, presque à la même vitesse, dans des grandes salles pour voir les histoires imaginées par Chaplin et ses contemporains.

On sortait de la séance de cinéma et on retrouvait la réalité. Après la Seconde Guerre mondiale, les images animées sont entrées dans les maisons, grâce à la télévision. Le quotidien de la planète entière venait de changer. Bien sûr, fallait avoir les moyens d’acheter le gros meuble avec un petit écran, mais c’était le seul investissement requis. Avec des oreilles de lapin, tu pognais un poste, le seul poste qui diffusait en anglais et en français. Ça occupait les longues soirées. Puis on a commencé à se lever pour aller voir ce qui se passait à un deuxième poste, puis à un troisième et à un quatrième. Plus il y avait de postes, plus on passait de temps devant eux.

Et arriva Cable TV, comme disait Yvon Deschamps. Soudainement, des dizaines et des dizaines de chaînes, anglophones surtout, étaient accessibles. Tellement qu’on a inventé la zapette pour pouvoir passer d’une à l’autre, sans s’essouffler. Pour être plogué, fallait payer, on a payé. Durant longtemps.

Et les internets ont tout changé, à nouveau. La télé a perdu le monopole du divertissement animé dans le foyer. On peut en voir sur son ordi, sa tablette et son téléphone. Si bien qu’au fil des ans, la télé s’est éteinte pour toujours dans de nombreuses maisons. Surtout dans celles de la nouvelle génération. C’est la révolution ! La liberté !

La liberté ? Pas sûr. Au début, peut-être. Le câble déplogué, on s’abonne à Netflix pour regarder des séries. Et le reste du temps, on regarde des youtubeurs et des chats sur Facebook. Ça se gère. Le problème, c’est quand les autres grosses compagnies se sont levées : « Ça va faire, Netflix, nous aussi, on peut faire payer le monde pour nos contenus. »

Essayer de gérer ça : si tu veux regarder les séries tirées de Star Wars, faut que tu t’abonnes à Disney+, si tu veux regarder la série de Xavier Dolan, faut que tu t’abonnes à Club illico, si tu veux regarder Ted Lasso, faut que tu t’abonnes à Apple TV, si tu veux regarder LOL : Qui rira le dernier ?, faut que tu t’abonnes à Prime, si tu veux regarder Le trône de fer, faut que tu t’abonnes à Crave, si tu veux regarder Les yeux fermés, faut que tu t’abonnes à Tou.tv. Ça finit plus. On n’a pas seulement l’embarras du choix, on a surtout l’embarras de payer nos choix. Bien sûr, tu peux te désabonner de la plateforme, un coup que les séries désirées sont dévorées. Encore faut-il que tu te rappelles quelle plateforme, parce que sinon, elle renouvelle ton abonnement automatiquement. Jusqu’à ta mort.

Sont où, les oreilles de lapin ?

Entre deux séries, que regarde l’être humain ? Le soleil ? La pluie ? La rue ? Les arbres ? Non. TikTok. On passe le temps sans le voir.

Jamais dans l’Histoire on a si peu regardé son environnement, au profit des écrans. Et la tendance ira en augmentant. Vous êtes désespérés devant ce monde au cou cassé sur leur mobile ? Un monde au casque de réalité virtuelle nous attend.

À moins que le point de saturation soit atteint avant.

Et qu’on se dise : « Si on sortait enfin de notre grotte ? »

Après avoir consulté le site de La Presse, bien sûr !