Inutile de se promener longtemps dans Saint-Henri–Sainte-Anne (SHSA) pour se rendre compte que ce n’est pas une circonscription ordinaire.

En quelques coins de rue, on peut passer du chic restaurant Joe Beef à un HLM, d’une boutique de prêteur sur gages à une tour de Griffintown qui fait monter ses condos de luxe dans le ciel.

C’est ici que se joue la nouvelle bataille de l’opposition.

Une élection partielle a été déclenchée à la suite de la démission de l’ex-cheffe libérale, Dominique Anglade. Selon le site Qc125, les libéraux et solidaires seraient à égalité statistique. Lundi soir, le résultat dépendra d’une question : qui a voté ?

SHSA, c’est la réunion de six quartiers : Petite-Bourgogne, Griffintown, Saint-Henri, Pointe-Saint-Charles, Ville-Émard et Côte-Saint-Paul. Si un secteur vote plus qu’un autre, cela pourrait faire pencher la balance.

Moins de six mois après les dernières élections générales, les citoyens ont la tête à autre chose. Le taux de participation dépassera probablement à peine 30 %. Pour les partis, la clé sera donc de cogner aux bonnes portes.

Quand on la compare à la moyenne québécoise, SHSA compte à la fois moins de mineurs et moins d’aînés, moins de couples avec des enfants et moins de francophones (59 % contre 82 % pour l’ensemble du Québec).

Sa population est davantage composée de trentenaires et de quadragénaires, de familles monoparentales, d’anglophones, d’allophones, de minorités visibles ainsi que de diplômés universitaires.

Avant 1992, Sainte-Anne et Saint-Henri constituaient deux circonscriptions distinctes.

Le PQ a déjà détenu Saint-Henri grâce à un précieux député : Jacques Couture, un prêtre, militant de la cause ouvrière et ministre de l’Immigration et du Travail sous le premier gouvernement René Lévesque. Hormis cet interlude, elle a toujours été libérale. Et Sainte-Anne est d’un rouge encore plus foncé.

Depuis leur fusion, le PLQ n’a jamais perdu. Jusqu’à tout récemment, une défaite libérale y était impensable. Mais le parti a chuté l’automne dernier, et on saura bientôt s’il a réussi à appliquer les freins.

Le nouveau chef intérimaire, Marc Tanguay, s’est rendu dans le Sud-Ouest de Montréal au moins trois fois par semaine pour appuyer son candidat Christopher Baenninger.

Le chef parlementaire Gabriel Nadeau-Dubois est aussi souvent venu épauler son candidat Guillaume Cliche-Rivard. Pour celui-ci, c’est un match revanche. Résidant du quartier, cet avocat spécialisé en immigration était arrivé deuxième en octobre avec 27,7 % des votes, contre 36,2 % pour Mme Anglade.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Le candidat de Québec solidaire pour l’élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne, Guillaume Cliche-Rivard, aborde des électeurs à la station de métro Jolicœur.

Ex-président de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration, il parle quatre langues (français, anglais, espagnol et arabe), il a déjà défendu entre autres Mamadi Camara et les « anges gardiens » d’Edward Snowden et il a travaillé notamment en Syrie, en Tunisie et en Ouganda. Cela en fait un expert sollicité par les médias sur les questions d’immigration.

Depuis le début de la partielle, M. Cliche-Rivard est pris en sandwich. Les péquistes l’accusent de ne pas défendre le français ou l’indépendance, comme si cela le gênait. Et les libéraux rappellent que QS a voté pour la réforme caquiste de la loi 101. Au minimum, on peut dire que ces enjeux ne sont pas ses priorités.

Quand M. Cliche-Rivard parle de la langue, c’est souvent pour souligner que son parti prolongerait le délai de six mois accordé aux nouveaux arrivants avant qu’ils ne soient servis uniquement en français par l’État. Sa campagne porte davantage sur le logement, le coût de la vie, le transport collectif, l’environnement, les garderies et les écoles (il en manque dans SHSA) ainsi que les soins aux aînés.

C’est dans SHSA que se trouve la plus grande concentration de HLM au Québec. Pour ceux qui n’en profitent pas, les loyers abordables sont rares, et l’embourgeoisement n’aide pas.

Dans SHSA et Verdun, le taux d’inoccupation des loyers était d’à peine 1,4 % en 2022. Soit moins que le 2 % pour la moyenne de l’île.

Québec solidaire a mis le paquet dans les dernières semaines avec des propositions pour interdire les évictions au profit d’Airbnb et protéger les locataires ayant des animaux de compagnie.

Ce n’est pas si différent des priorités libérales. Si ça joue dur entre les chefs, les candidats hésitent quant à eux à se critiquer. Comme M. Cliche-Rivard, M. Baenninger reste doux et affable.

Diplômé en art et en histoire de l’art devenu « entrepreneur social », M. Baenninger a déjà habité le quartier avant de s’établir dans Villeray. Lui aussi parle quatre langues (français, anglais, allemand et italien), ce qui l’aide à courtiser la communauté italienne de Ville-Émard.

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Le candidat du Parti libéral du Québec pour l’élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne, Christopher Baenninger

Centriste, ses propositions en logement sont plus modérées que celles de QS. Et, donc, plus difficiles à expliquer en quelques secondes lors des porte-à-porte. Un bon exemple : la clause F, qui permet des hausses de loyer illimitées durant les cinq années suivant la construction d’un logement neuf. Les solidaires l’annuleraient, tandis que les libéraux la réviseraient sans dire comment – ils veulent d’abord consulter le milieu.

Contrairement à MM. Baenninger et Cliche-Rivard, les péquistes et caquistes ont peu d’attentes.

Andréanne Fiola, candidate péquiste spécialisée en environnement, a un but modeste : convertir le succès d’estime de son chef en votes pour battre le résultat du PQ dans SHSA en octobre dernier, soit 8,3 %. Malgré ses 23 ans, elle compte déjà une expérience comme candidate dans une élection québécoise et deux élections municipales à Laval.

Quant à la CAQ, elle présente le président de sa commission relève, Victor Pelletier. Employé du bureau de circonscription de Blainville, il est en congé sans solde. Le jour, il fait campagne. Le soir, il étudie à l’université, ce qui l’a empêché de participer aux assemblées où les candidats pouvaient débattre.

Sa campagne reprend les engagements de la CAQ comme les baisses d’impôt. C’est normal – le parti étant au gouvernement, ses projets sont connus.

De toute façon, rien de cela ne changera lundi. Ce qui est en jeu, c’est le choix d’une nouvelle voix pour l’opposition. Et pour une circonscription qui se sent elle aussi souvent loin du pouvoir.