Bernard Drainville s’est présenté ce matin devant les journalistes comme un homme qui vient de voir son chien se faire écraser, retenant ses larmes. Mais il ne venait pas de perdre son chien. Il venait expier une promesse non tenue.

Comme d’autres poids lourds de la CAQ, le député de Lévis était dans ses petits souliers 36 heures après l’annonce de l’avortement du tunnel Québec-Lévis, le fameux « 3lien ».

Mardi soir, la nouvelle avait fuité : le gouvernement Legault tire la plogue sur le projet, six mois après une campagne électorale où tous les canons caquistes avaient promis de faire accoucher le 3lien.

Des promesses ?

Le PM lui-même-en-personne en faisait une affaire urgente, disant aux Montréalais de « cesser de regarder de haut les gens de Québec et de Lévis », dans le dossier du 3lien⁠1. M. Drainville, vedette caquiste dans Lévis, lui, a cité comme « preuve » de la nécessité d’un tunnel Québec-Lévis le temps passé par un individu dans le trafic de la Capitale-Nationale, disant à ceux qui s’inquiétaient de ce que le 3lien n’augmente ledit trafic ces mots célèbres⁠2 : « Lâchez-moi avec les GES ! »

Jeudi matin, donc, Bernard Drainville retenait ses larmes sous les micros des reporters⁠3 : « Je veux d’abord présenter mes excuses aux gens de Lévis et aux gens de Chaudière-Appalaches. J’ai pris un engagement et je ne suis pas en mesure de le livrer. Je comprends leur déception et je comprends leur colère et… Je suis vraiment désolé. »

Je connais suffisamment Bernard pour le savoir à ce point émotif, mais je pense aussi que sa réaction est à la hauteur de l’immense colère⁠4 que la décision a semée chez ceux avec qui il doit interagir quotidiennement sur la Rive-Sud de Québec : électeurs, maires, préfets…

Il a dû en entendre des vertes et des salées depuis mardi soir, de la part de ces gens-là, suffisamment pour que 36 heures plus tard, les digues lacrymales cèdent.

Je ne vais jamais lancer la pierre à un homme qui montre ses émotions en public, Bernard, rassure-toi. Même que je trouve que la réaction du ministre de l’Éducation est rassurante : elle trahit un sentiment bien humain, la honte. Bernard Drainville a de toute évidence honte d’être allé all-in dans ce poker autoroutier qui n’avait l’appui d’aucune donnée, d’aucun expert.

On ne trouve pas cette introspection chez Éric Caire. Le député caquiste de La Peltrie, Éric Caire, en 2018, avait déclaré ceci au journaliste Jean-Simon Bui⁠5 : « Si la CAQ recule sur le troisième lien, je démissionne. »

Cinq ans plus tard, le parti d’Éric Caire a formé le gouvernement – deux fois – et il vient de reculer sur son engagement à propos du troisième lien Lévis-Québec.

M. Caire va-t-il démissionner ?

Bien sûr que non.

Réponse, jeudi, du député de La Peltrie à propos de sa promesse de 2018⁠6 : « Je pense que mes électeurs sont en droit de s’attendre à ce que leur député prenne la meilleure décision en fonction de leurs intérêts… »

Cette phrase est un bel exemple de baloney politique. M. Caire semble avoir décidé que les électeurs ne souhaitent pas sa démission, c’est drôle : en 2018, il n’avait pas attaché cette condition à sa promesse fracassante…

Bref, M. Caire n’a pas honte du tout. Comme il n’avait pas honte quand il a été pogné dans un mensonge sur son CV. Comme il n’avait pas honte quand, ces derniers temps, en tant que ministre de la Cybersécurité et du Numérique, il se lavait les mains du fiasco de la transition numérique à la Société de l’assurance automobile du Québec. C’est un grand talent, chez lui, cette incapacité à éprouver le moindre embarras.

Je termine avec cette curiosité : autour de la volte-face caquiste sur le 3lien, il y a un spin selon lequel le gouvernement aurait fait preuve de « courage »…

Désolé, mais je n’achète pas ça : l’argument du « courage », c’est juste ça, un spin, un vernis sur une évidente mascarade, c’est l’équivalent de passer une couche de peinture dans une maison pleine de vices cachés. Le 3lien n’a jamais été appuyé par des études truffées de données probantes convaincantes⁠7, il n’a jamais été appuyé par le moindre expert en mobilité…

C’était une bibitte politique, purement politique.

Et les canons de la CAQ le savaient.

Le courage, ça aurait été de couper court à la mascarade du 3lien PENDANT la campagne électorale déclenchée fin août 2022, celle qui a culminé avec la réélection de la CAQ le 3 octobre dernier. Et de plaider en faveur de la densité urbaine et du transport en commun⁠8 quand ce discours comportait un risque aux urnes…

Si la CAQ avait eu du courage, la ministre des Transports Geneviève Guilbault n’aurait pas été envoyée seule ce matin expliquer pourquoi le gouvernement reniait sa promesse intenable : tous les députés caquistes qui avaient soutenu le 3lien au fil des années l’auraient accompagnée.

Y compris son boss, le PM Legault.

1. Lisez un article de Radio-Canada 2. Lisez notre article « “Lâchez-moi avec les GES !”, dit Drainville » 3. Voyez Bernard Drainville présenter ses excuses 4. Lisez un article du Devoir 5. Écoutez une entrevue d’Éric Caire au micro du FM93 6. Voyez la réponse d’Éric Caire 7. Lisez un article de TVA Nouvelles 8. Lisez notre article « Guilbault veut inciter les gens à abandonner leur voiture »