« Nous sommes condamnés à l’espoir. » Cette phrase du dramaturge syrien Saadallah Wannous a inspiré Marya Zarif dans l’écriture de Dounia et la princesse d’Alep, magnifique film d’animation qui rend hommage au courage des enfants syriens.

Originaire d’Alep, Marya Zarif est une réalisatrice syro-québécoise qui porte la cause des enfants syriens depuis longtemps. Son film m’a ramenée à ce jour de septembre 2015 où la photo du petit Alan Kurdi, 3 ans, mort sur une plage de Turquie, avait mis la tragédie syrienne à la une et secoué nos consciences endormies.

Le soir même, j’avais rencontré Marya Zarif lors d’une soirée-bénéfice pour les enfants syriens prévue depuis longtemps que le hasard avait fait coïncider avec la mort du petit Alan. La gorge nouée, avec cette sensibilité à fleur de peau qui est la sienne, elle avait pris la parole de façon très émouvante pour dire que si la priorité pour les enfants de la guerre était bien sûr de survivre, il leur fallait aussi pouvoir être juste des enfants. Leur besoin de dignité, qui passe par l’école, le jeu, la musique et le rêve, était aussi une urgence.

En nous racontant l’histoire de Dounia, une fille de 6 ans forcée de fuir sa ville natale d’Alep sous les bombes, Marya Zarif ne nous parle pas tant de la guerre que de la vie. De l’espoir qui s’entête malgré tout, comme une condamnation.

« Au bout de ces 12 ans de guerre, avec le tremblement de terre qui a suivi, catastrophe sur catastrophe, ce que j’ai surtout observé chez les Syriens et qui m’a le plus touchée, c’est leur extraordinaire force de vie », me dit la cinéaste, dont la famille proche vit encore en Syrie.

Si ça peut sembler a priori paradoxal de célébrer la vie quand la mort rôde, c’est en fait tout le contraire, observe Marya Zarif, dont le film lumineux est une ode à la culture syrienne faite de poésie et d’épices secrètes, de confiture de pétales de rose et de tendresse, de fromage en ficelles et de sagesse, de café et de contes merveilleux.

« La très grande noirceur cohabite toujours avec beaucoup de lumière. Les gens qui ont su traverser les ténèbres sont les gens les plus porteurs du vrai sens de la joie. C’est une leçon que j’ai apprise en traversant moi-même des moments très sombres dans les dernières années tant sur le plan personnel que devant ce qui se passait en Syrie. »

D’abord lancé à Paris, le film, qui est une coproduction franco-québécoise, a eu droit à des critiques élogieuses dans la presse française. Mais les commentaires qui ont fait le plus plaisir à Marya Zarif sont venus de spectateurs syriens qui ont vu le film, doublé en arabe, lors d’une projection clandestine la semaine dernière à Damas.

« Un jeune de 22 ans m’a dit : “Tu ne peux pas savoir le désespoir dans lequel on est. Tout est fermé devant nous. Mais là, je viens de regarder Dounia et j’avais envie de sortir danser dans la rue.” Et un enfant de 5 ans a dit à ses parents : “Je vais écrire dans mon cahier secret que c’est le plus beau jour de ma vie.” »

Ce qui l’a beaucoup émue aussi, c’est que le film, tout en agissant comme un baume pour de nombreux Syriens, a aussi touché des exilés de nombreux pays rencontrés lors de projections en Europe.

Une dame de Sarajevo qui pleurait après une projection est venue m’embrasser. Pareil pour des dames africaines… Il y a plein de gens qui ont des histoires dans la gorge et qui ont senti que celle de Dounia [qui veut dire « le monde » en arabe] les racontait aussi.

Marya Zarif, réalisatrice de Dounia et la princesse d’Alep

Le long métrage d’animation, déjà présenté dans plus de 20 festivals d’ici et d’ailleurs et couronné de plusieurs prix, a aussi touché des Québécois « pure laine », souligne sa coréalisatrice. Des gens qui s’attachent à Jeddo Darwich et Téta Mouné, veulent faire partie de la famille et goûter à sa cuisine, même si, contrairement à mes enfants, ils n’ont pas une grand-mère alépine qui leur prépare de la maimounyeh – un délicieux déjeuner sucré à la semoule – toutes les fins de semaine.

Ce n’est pas étonnant dans la mesure où, même si ce film est d’abord une lettre d’amour aux Syriens et aux Syriennes éprouvés par un conflit meurtrier, il raconte en même temps une histoire universelle qui concerne tant ceux qui s’exilent que ceux qui, parfois à l’autre bout du monde, leur ouvrent les bras. L’auteure s’est d’ailleurs inspirée – alerte au divulgâcheur ! – de la magnifique histoire de parrainage du petit village au grand cœur de Saint-Ubalde que j’ai déjà racontée dans ces pages1.

« C’est un film sur la beauté des humains. Sur le courage, la résilience, la joie, l’imagination qui est plus forte que tout et qui arrive à créer de la vie chaque fois qu’on traverse des épreuves », résume Marya Zarif.

Bref, un cri humaniste, comme un bouillon d’Alep pour l’âme.

1. Lisez la chronique « Réfugiés syriens : de Damas à Saint-Ubalde, un an plus tard »

Dounia et la princesse d’Alep de Marya Zarif et André Kadi est à l’affiche exclusivement au cinéma depuis le 28 avril.