« Pas fiable ». « Brouillon ». Jean Charest et Philippe Couillard avaient chacun leur expression pour attaquer François Legault.

En 2012, M. Charest avait réussi à lui faire mal. Mais en 2018, M. Couillard n’a pas effrayé la population. Il misait sur la peur de l’inconnu, mais les électeurs la ressentaient finalement moins que l’écœurement face à un parti qu’ils connaissaient trop bien.

Mais là où les libéraux ont échoué, le troisième lien routier Québec-Lévis pourrait réussir. L’abandon de cette promesse phare marque une petite brèche dans l’armure caquiste. Et avec l’usure, les lignes de faille menacent de lentement se répandre.

Après avoir gouverné près de cinq ans, M. Legault ne peut plus prétendre diriger un nouveau parti. Les années au pouvoir commencent à peser sur lui. Cette accumulation explique pourquoi l’abandon du troisième lien lui fait mal, comme le prouve le récent sondage Léger.

Ce dossier condense des critiques entendues pour d’autres projets de la Coalition avenir Québec (CAQ). Les maisons des aînés font rêver, mais on se demande si une partie de l’argent ne serait pas mieux investie ailleurs, comme dans les soins à domicile. Et même si les maternelles 4 ans aideront des jeunes en difficulté, cet engagement phare était-il irréaliste ? Ou encore, que valait la parole donnée pour la réforme du mode de scrutin ?

Ces idées étaient vendeuses, mais étaient-elles trop brouillonnes ? Jusqu’où était-on prêt à aller pour gagner ?

Ces questions, ceux qui se réjouissent de l’abandon du troisième lien routier se les posent, eux aussi.

Le sondage Léger ressemble à un polaroïd de gens avec de la fumée qui sort des oreilles.

Le coup de sonde a été mené une semaine après l’abandon du troisième lien routier entre Québec et Lévis. C’est un instantané de la colère locale, et les prochaines élections se dérouleront dans plus de trois ans. La prudence s’impose donc avant de se hasarder dans les projections de sièges.

N’empêche que quelque chose se passe. Il s’agit du pire résultat de la CAQ depuis 2018.

Après sa victoire écrasante en octobre, l’entourage de M. Legault reconnaissait que le 41 % de votes constituait un plafond. Tôt ou tard, le parti perdrait de l’altitude. La baisse a toutefois été plus rapide que prévu.

Même si Éric Duhaime est le seul à vendre encore le rêve d’un troisième lien routier, il n’est pas celui qui profite le plus de la dégringolade caquiste locale. Rien d’étonnant. Après tout, les caquistes sont des ennemis jurés des conservateurs. Il n’y a aucune passerelle entre eux.

Les caquistes déçus ne sont pas beaucoup allés voir du côté des solidaires. Et encore moins chez les libéraux. C’est le Parti québécois (PQ) qui les tente, pour l’instant, du moins. Un revirement inespéré pour eux.

L’été dernier, le PQ macérait dans la cave, avec seulement 8 % d’appuis. Son chef Paul St-Pierre Plamondon (PSPP) a fait une bonne campagne. Assez pour se faire élire, avec l’aide du désistement de son adversaire solidaire surprise à voler un dépliant électoral.

Grâce à son style authentique, PSPP a permis de sauver les meubles. La récolte fut tout de même la pire de l’histoire du parti : trois députés à l’Assemblée nationale.

Depuis, la modeste ascension se poursuit. Le PQ mène dans le financement, autant pour le nombre de donateurs que pour le butin.

Ses adversaires répliquent que PSPP a eu la partie facile. Dans les bas-fonds des sondages, ses propositions étaient moins scrutées à la loupe. Cela pourrait changer, alors qu’il atteint maintenant la zone payante des 20 % d’appuis dans la population.

La montée du PQ reste toutefois fragile. Il suffirait d’une variation de deux points de pourcentage pour que le parti reste le moins représenté à l’Assemblée nationale. Et si PSPP continue de surprendre, il fera face au dilemme de ses prédécesseurs. Plus ils montent dans les sondages, plus leur volonté de faire l’indépendance sera prise au sérieux. C’est le plafond sur lequel les grands noms du parti se sont déjà frappé la tête.

Pour les libéraux, le calvaire se poursuit. Le parti est devenu marginal auprès des francophones et des régions. Depuis que la souveraineté n’est plus au cœur des débats, il ne sait plus comment se définir. Si ce diagnostic fait consensus, personne n’a trouvé de remède. Et des députés libéraux creusent leur propre trou en voulant effacer le terme « femme » d’un projet de loi sur les mères porteuses.

Les libéraux sont tellement mauvais que les péquistes sont tristes. Ils aimeraient que les rouges grugent un peu de votes aux caquistes pour pouvoir se faufiler entre eux.

Les solidaires piétinent aussi. Leur victoire dans la partielle de Saint-Henri–Sainte-Anne s’explique en partie par la déconfiture libérale. Ailleurs, l’aiguille ne bouge pas. Ils collent à leurs dossiers fétiches et prennent peu de risques pour courtiser de nouveaux électeurs. C’est comme s’ils attendaient que le temps fasse son œuvre – les jeunes les appuient davantage et sont plus séduits par leur discours écologiste et diversitaire.

Quant aux conservateurs, on croirait que M. Duhaime écoute Fox News puis offre le lendemain une traduction maison. Les drag queens excitent peut-être ses militants les plus fâchés, mais le reste de la population s’en contrefiche.

Ce choix décevant explique la remontée du PQ et la position de force que conserve malgré tout la CAQ.

Bien que sa popularité baisse, M. Legault demeure en position enviable. Rares sont les politiciens du pays qui ne voudraient pas être dans ses souliers. En ce moment, du moins.