(Toronto) Contrairement au Québec qui a décidé de ne pas souligner officiellement le couronnement du roi Charles III, le gouvernement ontarien avait le cœur à la fête samedi.

La pelouse de l’Assemblée législative, Queen’s Park, avait pris des airs de fête foraine. Au mât, on a hissé le nouvel étendard royal tandis que résonnait le God Save the King.

C’est donc entre des autos tamponneuses, des chaises volantes et des kiosques qui distribuaient dumplings chinois et poutine que le premier ministre Doug Ford, la lieutenante-gouverneure de la province et une poignée de politiciens ont salué l’« évènement historique » qui venait tout juste de se terminer à Londres. Sur fond de fanfare militaire et de tirs d’artillerie, ils ont tenté de lui donner un sens bien canadien.

PHOTO CHRIS YOUNG, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a pris part samedi à Queen’s Park aux célébrations entourant le couronnement de Charles III, au côté de la consule générale britannique à Toronto, Fouzia Younis.

Ce couronnement à l’abbaye de Westminster, a dit Ted Arnott, président de l’Assemblée législative, n’est pas que la consécration d’un « roi étranger », d’une « célébrité » qui nous rend visite à l’occasion pour nous donner une tape dans le dos. Non, ce couronnement est le rappel des fondations sur lesquelles notre démocratie parlementaire s’est construite. Et grâce auxquelles elle fonctionne. Et ce symbole de stabilité est aujourd’hui incarné par Charles III.

La formule est bien tournée et peut être convaincante si on fait abstraction du fait que la fameuse pierre d’assise royale dont il est question peine à se soumettre aux principes les plus élémentaires de la démocratie dont elle se dit le socle.

Samedi matin à Londres, avant que le carrosse doré du roi et de la reine se mette en route vers l’abbaye, les autorités ont arrêté 52 personnes qui voulaient manifester en marge du couronnement. Qui voulaient scander Not my king (« Pas mon roi ») et brandir des pancartes à Trafalgar Square, soit à 1,1 km du lieu du couronnement. Leur point de vue républicain, environ un Britannique sur quatre le partage.

Mais qu’à cela ne tienne, tout a été mis en place en Grande-Bretagne pour que cette opinion minoritaire, mais loin d’être marginale, ne puisse s’exprimer sur la place publique.

Plus tôt dans la semaine, grâce à un projet de loi controversé adopté à la va-vite par le Parlement, la police a obtenu les coudées franches pour faire taire la dissension en marge de la cérémonie. La loi, qui vise notamment les groupes environnementalistes qui ont suscité maintes fois l’émoi au cœur de Londres, a reçu l’assentiment royal et est entrée en vigueur mercredi, soit trois jours avant le couronnement. Tiens, tiens.

Samedi, la police en a fait usage à qui mieux mieux. Les grandes organisations de défense des droits de la personne, dont Human Rights Watch, n’ont pas manqué de faire entendre leur désapprobation et leur inquiétude. Avec raison.

Ce n’est pas la première fois que les opposants à la monarchie ont maille à partir avec les autorités. Après la mort de la reine en septembre dernier, quelques individus ont tenté de remettre en cause l’accession automatique du prince Charles au trône. On les a vite fait taire.

Chaque fois, c’est au nom du maintien de l’ordre que la police agit. Bien sûr, gérer un évènement auquel des millions de personnes assistent demande une immense planification et beaucoup de prudence, mais cette coordination doit aussi prévoir la tenue de manifestations.

Alors qu’on s’attend à ce que la facture du couronnement, payée par les contribuables, s’élève à près de 170 millions, on doit permettre à ces mêmes contribuables de faire entendre leur voix pacifiquement tout en assurant la sécurité des uns et des autres. C’est essentiel en démocratie.

Le tout donne l’impression que les autorités tentent d’abord et avant tout de mettre le roi, beaucoup moins populaire que sa mère, sous une cloche de verre. De lui éviter à tout prix le sort réservé à toutes les autres institutions qui forment l’État, dont le Parlement et le gouvernement.

Comme s’il était souhaitable de construire une démocratie solide – en Grande-Bretagne comme au Canada – sur des fondations faites de cristal, de pierres précieuses et de faux-semblants.