Il s’appelait Marco Antonio Samillan Sanga. L’étudiant en médecine s’est porté volontaire pour aider les blessés lors des immenses manifestations qui ont secoué le Pérou au début de l’année. Il y a plutôt laissé sa vie, atteint d’une balle dans le dos.

« Ils l’ont assassiné par-derrière quand il s’occupait d’un blessé », m’a écrit par l’entremise de WhatsApp son frère aîné, Raul Samillan, qui tente depuis d’obtenir justice pour son frère.

« Ils », ce sont les forces de l’ordre du Pérou, qui ont durement réprimé les manifestations qui ont débuté après la destitution et l’emprisonnement du président Pedro Castillo, le 7 décembre 2022. Et selon trois rapports d’organisations des droits de la personne, il a été établi que le trentenaire a été tué par un projectile de la police alors qu’il donnait les premiers soins le 9 janvier dans la ville de Juliaca, dans le sud du pays.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Marco Antonio Samillan Sanga

Une heure avant de mourir, Marco Antonio Samillan Sanga avait tenté de réanimer une autre victime, Edgar Jorge Huarancca Choquehuanca, un étudiant en gastronomie de 22 ans. En vain.

Ce jour-là, 18 civils sont morts dans ce qui est aujourd’hui appelé le « massacre de Juliaca ». Parmi eux, 15 ont succombé à des tirs de la police nationale péruvienne et 16 étaient autochtones.

Et ce n’est qu’un épisode d’une répression beaucoup plus répandue. Human Rights Watch, Amnistie internationale et la Commission interaméricaine des droits de l’homme estiment qu’en trois mois, au moins 49 civils ont été tués dans le pays, la plupart victimes d’une utilisation exagérée, voire illicite de la force de la part de la police péruvienne et de l’armée.

Les trois organisations ont enquêté sur le terrain et rédigé des rapports accablants, qui font était de certains actes de violence de manifestants, mais surtout de la réponse démesurée des forces de l’ordre. Il y est question de possibles exécutions extrajudiciaires ou arbitraires, de violations graves des droits de la personne et d’enquêtes bâclées de la part des autorités.

La directrice générale d’Amnistie internationale au Pérou, Marina Navarro, de passage au Canada la semaine dernière, s’inquiète aussi de la teneur « raciste » de cette répression qui a d’abord et avant tout touché les communautés autochtones et paysannes du pays, soit la base électorale de Pedro Castillo.

Dans une situation semblable, habituellement, le Canada se contenterait de publier un communiqué faisant état de son inquiétude, mais dans le cas du Pérou, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, est appelée à faire plus. Amnistie internationale lui demande de suspendre la vente d’armes canadiennes au pays d’Amérique latine.

PHOTO MONICAH MWANGI, ARCHIVES REUTERS

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères

Après tout, le Canada est assujetti depuis 2019 au Traité sur le commerce des armes. Selon le texte du traité, un État-partie ne doit autoriser aucun transfert d’arme s’il a la connaissance que ces armes pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves du droit humanitaire international ou encore si des attaques sont dirigées contre des civils.

Amnistie internationale vise le Canada parce que l’organisation évalue que de 2014 à 2021, les ventes d’armes et de technologie militaire du Canada vers le Pérou se sont élevées à près de 81 millions.

L’organisation a fait la même demande à l’Espagne. Le pays européen est un acteur beaucoup plus important au Pérou. De 2017 à 2022, l’Espagne a vendu près de 184 millions d’euros (264 millions de dollars) d’armes et de matériel militaire à son ancienne colonie sud-américaine.

Or, il a été prouvé que des projectiles utilisés par la police péruvienne lors des manifestations ont été fabriqués par Maxam Outdoor, une entreprise espagnole. Après un peu d’hésitation, le 22 février dernier, Madrid a annoncé la suspension de toute vente de matériel policier au Pérou. Le ministre de l’Intérieur a précisé qu’il accédait à la demande d’Amnistie pour « dénoncer les violations des droits de l’homme » dans le pays.

Voilà un geste fort qui dépasse un communiqué de presse ou un gazouillis.

Voilà un geste que le Canada tarde à imiter. À ce jour, Mélanie Joly n’a pas emboîté le pas. Son cabinet, contacté à répétition depuis mercredi dernier, reste muet sur ses intentions.

À Affaires mondiales Canada, on se contente d’une réponse générique, affirmant que les demandes d’exportation d’armes sont examinées au « cas par cas ». Sans plus.

Il faut préciser que la situation canadienne n’est pas identique à celle de l’Espagne. Il n’existe pas de preuve que des armes, des projectiles ou des agents chimiques de fabrication canadienne ont été utilisés pour tuer des manifestants. Mais la possibilité qu’ils le soient, elle existe. Et ça devrait suffire pour agir.

Or, dans le cas de matériel militaire à l’Arabie saoudite, le gouvernement Trudeau fait des contorsions depuis des années pour affirmer qu’il n’a pas à interdire la vente de véhicules blindés parce qu’il ne détient pas la preuve irréfutable que ces derniers sont utilisés contre des civils, notamment dans la guerre au Yémen.

Voilà une interprétation très étroite du Traité sur le commerce des armes. Une interprétation qui donne plus de poids aux intérêts commerciaux qu’aux vies des civils. Une interprétation que le Canada ne doit pas recycler à la sauce péruvienne.

Pour Marco. Pour Edgar et Reynaldo, tués le même jour. Et pour leurs familles, endeuillées par des armes utilisées à mauvais escient.