Le gouvernement du Québec a nommé juge un ami proche du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette. Au risque d’en décevoir certains, je n’y vois pas de scandale.

Le ministre SJB n’est pas particulièrement populaire dans la magistrature – je vais m’inscrire à un concours d’euphémismes avec cette phrase. Ni dans le milieu juridique en général. On en a entendu plusieurs dans les coulisses pourfendre cette nomination aux allures de népotisme.

Aux juges qui s’offusquent, je suggère de penser à leur propre généalogie judiciaire, car peu sont sortis directement de la cuisse de Jupiter ou du coude de Thémis. bea

Ce nouveau juge de la chambre criminelle de la Cour du Québec, Charles-Olivier Gosselin, est un avocat de la défense de Québec de très bonne réputation. Il s’est fait connaître du public en défendant le tueur de la mosquée de Québec. Il est vrai qu’il est particulièrement jeune : il n’a pas tout à fait « 12 ans de Barreau ». Comme il faut être membre de l’Ordre des avocats depuis 10 ans pour être nommé juge, c’est une sorte de record de vitesse.

On peut discuter de l’opportunité de nommer magistrats des avocats avec somme toute assez peu d’expérience. Mais en soi, ce n’est pas une objection valable.

La chose la plus importante à souligner, c’est que sa candidature a été retenue, avec deux autres (si on se fie au règlement), par un comité indépendant du ministre.

J’en vois qui roulent des yeux au fond de la salle ?

Non, non, ce comité est vraiment indépendant. Il est formé de cinq membres : un juge choisi par la juge en chef de la Cour du Québec (qui, comme chacun sait, n’est pas à inviter sur la même piste de danse que SJB) ; un avocat ou professeur choisi par le Barreau ; un membre du public désigné par l’Office des professions ; une représentante des groupes de victimes (une innovation très discutable du ministre, mais c’est une autre histoire) ; et finalement une personne nommée par la Chambre des notaires. Le ministre ne « contrôle » que le choix d’un des cinq membres du comité.

Ce processus a été instauré après la commission Bastarache (2011) et donne généralement de bons résultats. Il a largement dépolitisé les nominations – en laissant quand même une marge discrétionnaire au ministre, mais dans un « bassin » de trois noms. C’est ainsi que l’ancien ministre de la Justice du Parti québécois Bertrand St-Arnaud a été nommé juge… par les libéraux.

À défaut d’avoir un comité de « nomination », qui choisit à la place du ministre, on a un comité de « sélection », qui choisit les meilleurs candidats.

Or, ce comité a sélectionné MGosselin parmi ses trois candidats retenus.

Est-ce que le ministre aurait dû déclarer son amitié et se faire remplacer en voyant son nom ? Sans doute. Le geste de transparence aurait été plus vertueux. Mais à l’échelle des nominations « partisanes », celle-ci arrive très, très bas dans ma liste et ne me scandalise nullement.

Mais pendant que tout le monde a les yeux tournés vers Québec, on néglige ce qui se passe sur la Côte-Nord, et qui est bien plus troublant…

La semaine dernière, Alexandre Germain a été nommé juge à la même Cour du Québec, chambre criminelle et chambre de la jeunesse, dans le district de Mingan.

Lui aussi a été sélectionné par le comité local. Sauf que cette sélection était le fruit d’un deuxième comité de sélection. L’an dernier, un premier comité avait reçu plus d’une demi-douzaine de candidatures (huit à dix, selon mes sources). Il a remis son rapport au ministre… qui a carrément annulé le processus et créé un nouveau comité.

Le ministre en effet a ce pouvoir. Pourquoi ? Parce que parfois, il y a trop peu de candidatures, ou un problème est révélé au sujet d’un candidat. Il est déjà arrivé qu’une seule personne se retrouve sur la liste, faute de candidatures. Les libéraux ont aussi annulé au moins un concours.

Mais dans le cas de Sept-Îles, on sait de bonne source que plusieurs avocats-avocates d’expérience pertinente étaient sur les rangs.

Comment expliquer que le ministre ait annulé ce concours ? Pour quelles raisons ? Il devrait s’en expliquer, ce que malheureusement le règlement ne l’oblige pas à faire.

Comment se fait-il enfin qu’un avocat… de Longueuil, relativement peu expérimenté, se retrouve à ce poste ? MGermain est peut-être un très bon juriste, mais il est présentement « au contentieux du CISSS » de sa région.

La réalité de Sept-Îles est très particulière, notamment à cause de la présence autochtone.

Le maire de la ville, Steeve Beaupré, est un ancien procureur du DPCP – il a notamment été chargé du dossier de « Rambo » Gauthier. Il ne s’est pas gêné pour dénoncer ce processus. Toute la communauté juridique est choquée.

« Si j’avais été le représentant du Barreau sur le comité et que mon rapport avait été annulé, je n’aurais jamais siégé sur un deuxième ! », me dit-il.

Pour un gouvernement qui prétend défendre « les régions », disons que ça ne passe pas très bien. Et avec raison.

Le pouvoir d’annuler un concours ne devrait être utilisé qu’en dernier recours, pas comme une manière de contourner le processus.

C’est là-dessus que le ministre doit s’expliquer, parce qu’en ce moment, ça fait désordre.