Lundi soir, 20 h, nous sommes des millions, à travers l’Amérique, les doigts croisés, devant nos écrans, à attendre que la Ligue nationale de hockey révèle l’identité de l’équipe qui obtiendra le premier choix, lors du prochain repêchage. Ou plutôt l’identité de l’équipe qui obtiendra Connor Bedard. Car même une équipe dirigée par un DG ne connaissant rien au hockey, même Ted Lasso, choisirait Connor Bedard. C’est le plus bel espoir depuis Connor Ier (McDavid).

C’est à cause de Bedard si, pour la première fois de ma vie, cette saison, les défaites du Canadien ne me faisaient rien. Même qu’à de nombreux fans, elles faisaient du bien. Chaque revers augmentait nos chances de remporter la loterie. Voilà pourquoi le CH a perdu 45 fois en temps réglementaire et 6 fois en prolongation sans déclencher de révolution. Sans qu’aucune tête ne roule. Les partisans ne sont pas soudainement devenus patients et conciliants.

C’est juste que, pour la seule fois de son histoire, les défaites du Tricolore faisaient plus rêver que ses victoires.

Et c’est dans quelques minutes que l’on va savoir si le rêve va devenir réalité. Seules les 16 équipes les plus poches du circuit peuvent espérer sélectionner le jeune prodige. Plus que tu as été poche, plus que tu peux empocher. Le Canadien, ayant terminé au 28e rang du classement général, a 8,5 % des chances de remporter le jackpot, ou plutôt le Connor Pot. Les Ducks d’Anaheim, qui ont terminé au 32e et dernier rang, ont 18,5 % des chances. Ne perdons pas la foi pour autant, on a déjà assez perdu.

Bill Daly, le bras droit du commissaire de la ligue, Gary Bettman, est prêt. Il a une pile de cartons devant lui. Oui, des cartons ! C’est en montrant les logos des équipes sur des cartons que l’on va apprendre au monde entier qui repêchera quand. On est en 2023, à l’ère du métavers, mais la NHL fonctionne comme le Capitaine Bonhomme.

Au 10e rang du repêchage… Le bras droit lève le carton des Blues de St. Louis. Le directeur général des Blues reste de glace. Il n’aura pas Bed’or. D’ailleurs, tous les DG ont une face d’enterrement, car ils connaissent déjà le résultat. Y en a juste un qui fait semblant d’être pas content. Je sais, ça fait pic pic. Que voulez-vous, c’est une ligue de cartons.

Au 7e rang du repêchage… Daly lève le carton des Flyers de Philadelphie. Fiou ! On est toujours dans le coup. Au 6e rang du repêchage… Le logo très abstrait des Coyotes de l’Arizona. On rêve encore, on rêve encore.

Au 5e rang du repêchage… Le Capitaine Daly lève le carton du Canadien de Montréal. The dream is over. On n’aura pas le Sauveur.

Ce sont les Blackhawks de Chicago qui ramassent le pactole. Ils ont travaillé fort pour détruire leur équipe. Maintenant, ils possèdent la pierre du destin pour la rebâtir.

Et nous là-dedans, les fans du CH, on se sent comment ? Ça dépend. Il y a ceux qui regrettent toutes ses défaites qui ne nous ont pas fait gagner. Tant qu’à faire, on aurait dû plus se forcer pour gagner les vraies parties. Et ceux qui regrettent qu’on n’ait pas perdu davantage, comme Chicago. OK, les Hawks avaient 11,5 % des chances d’obtenir ce qu’ils ont eu, c’est seulement 3 points de pourcentage de plus que nous, mais c’est 3 points quand même.

Peu importe de quel côté on est, que l’on regrette les défaites ou les victoires, on va devoir se consoler avec le cinquième choix. Ce n’est pas si mal. Mais ce n’est pas Bedard.

Malheureusement des Bedard, il y en a un par décennie. Malheureusement et heureusement aussi, parce que des saisons comme ça, très peu pour moi.

Ne plus savoir si l’on doit gagner ou perdre tue l’essence même du sport. La Loto-Losers vise à atteindre la parité, mais la recherche de la parité ne doit pas enfreindre le désir de gagner. Surtout que l’entreprise de démolition que l’on doit entreprendre pour augmenter ses chances de remporter la loterie est loin de garantir la parité. Ça va prendre du temps avant que Connor Bedard ait le vent dans le dos, à Chicago.

Il n’y a pas juste les cartons à changer, tout le système d’attribution des choix de repêchage est à revoir. Récompenser la médiocrité ne peut que faire prospérer la médiocrité.

En 2022-2023, le Canadien jouait à Qui perd gagne. En 2023-2024, il jouera à Qui gagne gagne ou à Qui perd perd, c’est comme vous voulez. Il n’y aura plus le bonbon Bedard pour faire avaler les dégelées. Martin et ses petits gars sont mieux de profiter de leur été.

Montréal va revenir à la normale.

Pas tout à fait. On ne vous demande pas la Coupe Stanley, mais au moins de pouvoir y rêver.