Êtes-vous écœuré d’entendre parler du troisième lien ?

François Legault espère que oui. Sa Coalition avenir Québec se réunit en congrès à Sherbrooke jusqu’à dimanche. Le thème officiel : la transition énergétique. Le message subliminal : une sortie de tunnel, en route vers une nouvelle économie et de nouveaux débats.

Dans la région de Québec, l’abandon de cette promesse a fait chuter la CAQ dans les intentions de vote. Ailleurs dans la province, la baisse est légère.

M. Legault reste en position de force, mais mieux vaut appliquer les freins rapidement. Car même quand la pente est douce, on ne sait jamais où une glissade mène.

La mort du troisième lien frustre tout le monde. Ceux qui en rêvaient se sentent trahis. Ceux qui le dénonçaient accusent M. Legault d’avoir menti en vendant un projet impossible.

Une fois la tempête passée, la CAQ se sera débarrassée d’un caillou pointu dans son soulier. Quand elle proposait une mesure verte, on lui répondait : « Oui, mais le troisième lien, lui ? »

Chaque année qui passe, la CAQ renforce un peu ses politiques environnementales. Or, puisque les perturbations climatiques et le déclin de la biodiversité s’aggravent à un rythme alarmant, les attentes de la population augmentent. Les progrès de la CAQ ne font que maintenir son positionnement face à trois partis à l’Assemblée nationale qui lui demandent d’en faire plus.

Elle s’en accommode. La recette de la CAQ est simple : courtiser les libéraux préoccupés par l’économie et les péquistes soucieux du nationalisme, puis se donner pour principal adversaire Québec solidaire, jugé plus facile à battre.

En mai 2022, son congrès à Drummondville portait sur le nationalisme. Cette fin de semaine, il est sur l’économie, d’où le thème de la « transition énergétique ».

Les délégués se feront expliquer samedi par un trio d’experts que ces questions se posent partout dans le monde, que le plan d’investissements verts des États-Unis force les autres pays à s’ajuster et que le Québec devra réfléchir non seulement à l’énergie qu’il produit, mais aussi à celle qu’il consomme.

Ce sera également l’occasion de prendre le pouls de la vie militante.

La CAQ n’est plus le parti d’un homme. Elle compte des ministres avec un CV bien garni et une personnalité forte comme Christian Dubé, Sonia LeBel et Pierre Fitzgibbon.

Pour l’organisation, le parti est devenu sophistiqué, comme le démontre sa machine à gagner des élections.

Pour le débat d’idées, il reste toutefois prudent et discipliné. Bien sûr, il n’est pas seul – le militantisme décline dans tous les partis, comme le prouve le Parti libéral du Canada, où à peine 10 % des membres ont voté au récent congrès sur une résolution sur l’avenir des finances publiques.

La CAQ est encore plus docile. Le brassage d’idées ressemble à un exercice d’imitation du grand leader. Un exemple : la résolution qui prône la construction de nouveaux barrages.

Dans les années 1970, ç’aurait été audacieux. Aujourd’hui, il ne reste plus beaucoup de rivières avec un riche potentiel, et les Innus ne veulent pas qu’on inonde leur territoire. De toute façon, le dossier est devenu indissociable de la renégociation du contrat Churchill Falls avec Terre-Neuve, qui se réglera dans les coulisses entre M. Legault et son homologue.

Sans être formellement opposés à un nouveau barrage, les experts préconisent d’examiner d’abord le potentiel éolien et solaire et, surtout, de regarder ce qui reste l’angle mort caquiste : la réduction de la consommation.

Le ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, organisera lundi un forum sur la transition. Il a déjà fait jaser avec sa proposition de laver la vaisselle tard dans la nuit. Le débat est pertinent – la tarification dynamique aiderait à gérer la demande en électricité. Il reste que ce n’est pas de la sobriété énergétique.

Le moment de la consommation est moins important que la quantité consommée. Moins on gaspille de l’énergie, moins il faudra en produire et plus il en restera pour attirer des projets d’investissements énergivores.

Pour cela, il y a deux méthodes complémentaires. L’efficacité, qui repose sur la technologie. Et la sobriété, qui exige des changements de comportement.

En abandonnant le troisième lien routier qui aggravait l’étalement urbain, les caquistes ralentissent la croissance de la consommation. Ils ont enfin fait un timide pas vers l’écofiscalité en laissant la Communauté métropolitaine de Montréal exiger que les automobilistes du « 450 » payent eux aussi la taxe de 59 $ pour financer le transport collectif.

De même que la baisse caquiste de la taxe scolaire avantageait surtout les riches, les tarifs en hydroélectricité avantagent les propriétaires de grosses maisons, et ceux qui ont assez d’argent pour s’acheter un véhicule de luxe polluant ne sont pas embêtés.

Sans surprise, rien n’est prévu à ce sujet au congrès. Les mesures débattues au congrès seront plus consensuelles, comme les bornes électriques obligatoires pour les grandes stations-service et la « densification douce » en région.

Ce souci pour la douceur montre une crainte caquiste. Demander aux gens d’ajuster leur mode de vie, c’est synonyme pour eux de « faire la morale ». Mais les évènements météo extrêmes en montrent la nécessité. Le minimum serait d’interdire les constructions dans les zones à haut risque d’inondation.

Un groupe de mairesses et de maires écologistes (Montréal, Longueuil, Laval, Québec et Sherbrooke, entre autres) veulent plus d’argent pour l’adaptation. Les caquistes rappellent avec raison que les villes devraient commencer par dépenser toutes les sommes déjà offertes. Les deux ont raison : l’argent manque, les initiatives municipales aussi.

Avec les années, tout premier ministre est menacé de dispersion. Il perd son temps à gérer les imprévus et à réagir aux controverses.

Pour M. Legault, le congrès sert à appliquer les freins et relancer son gouvernement. Même s’il parlera évidemment de nationalisme, il misera aussi sur la transition énergétique pour solidifier à la fois son discours économique et environnemental.

Ce serait toutefois encore plus efficace s’il ose dire quelques vérités déplaisantes à la population. Quitte à les enrober dans une rhétorique caquiste pour mieux les faire digérer à ses militants.